Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le fait que dans les marchés à terme le vendeur ne possède pas actuellement les titres qu’il s’engage à livrer, qu’il vend à découvert (to go short), n’est d’aucune conséquence pour apprécier la moralité de ces opérations. A Napoléon, qui lui faisait cette objection, Mollien répondait : « Je fais un marché à terme avec mon porteur d’eau quand il me promet de m’apporter chaque matin deux voies d’eau ; il n’en a pas chez lui ; mais il est sûr d’en trouver tous les jours à la Seine ; il y a de même une rivière de rentes qui coule toujours. »

Il serait puéril de vouloir que les personnes qui vendent ou achètent à terme eussent les moyens d’acheter tous les titres ou de payer toute la somme représentée par le chiffre de leur bordereau. Il suffit, pour que leurs opérations soient raisonnables et légitimes, qu’elles aient de quoi payer les différences possibles d’une liquidation à l’autre. C’est à la sagesse des agents de change ou des maisons de coulisse à exiger des couvertures suffisantes pour assurer éventuellement ces différences[1]. Malheureusement, ils ne le font pas toujours. Le spéculateur qui ne peut pas les régler est exécuté à la Bourse, c’est-à-dire que l’agent fait d’office l’opération d’achat de titres ou de vente qu’il est hors d’état de faire lui-même. La conséquence de cette exécution est que celui qui en a été l’objet n’est plus admis désormais par la corporation de la Bourse à faire des opérations à terme. Pour un spéculateur, c’est le plus grand des châtiments et c’est avec cette peine purement coutumière que la Bourse a pu tenir en échec, par la complicité universelle des intéressés, toutes les prescriptions législatives dirigées jadis contre certaines de ses opérations[2].

  1. La plupart du temps les couvertures consistent en valeurs au porteur ou nominatives avec un transfert signé. L’art. 61 du décret du 7 octobre 1890 a sanctionné cette pratique. Si ces valeurs viennent elles-mêmes à se déprécier, l’agent n’est plus couvert. L’économie politique enseigne justement que des titres seulement négociables ne peuvent pas être assimilés à de la monnaie ou à des effets de commerce payables en numéraire à brève échéance.
  2. La pratique des exécutions à la Bourse est formellement autorisée par les art. 69 et 89 du décret du 7 octobre 1890.