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L’attitude du Congrès ouvrier international réuni en juillet 1889 à Paris, et où dominaient les socialistes possibilistes, a été singulièrement significative. Au nom des délégués français, le citoyen Allemane avait présenté le rapport suivant :

Considérant que nous ne verrons la véritable fin des coalitions patronales et financières, nationales et internationales, que le jour où le prolétariat universel sera assez fortement organisé pour s’emparer des forces productives et organiser, au mieux des intérêts de la collectivité humaine, la production et l’échange des produits ;

Considérant, d’autre part, que cette organisation ouvrière réclamera de longs efforts et qu’il convient d’aviser au plus tôt ;

Le Congrès décide : les organisations ouvrières de chaque pays devront mettre en demeure les pouvoirs publics de s’opposer, en vertu des lois existantes ou à élaborer, à toutes coalitions ou rings, ayant pour but d’accaparer, soit la matière première, soit les objets de première nécessité, soit le travail[1].

Le citoyen Borrows, délégué américain, sans combattre précisément ces conclusions, fit ressortir l’importance des trusts pour l’avenir du socialisme :

Le trust est une combinaison capitaliste pour s’assurer de gros bénéfices en créant un seul marché ; par exemple, pour le sel, il n’y aurait qu’un seul acheteur, un seul vendeur, un seul fabricant. Le trust possède une puissance gigantesque ; mais il agit en même temps si fortement sur l’ordre de choses économique qu’il excite le progrès mécanique et abaisse le prix de revient. Exemple : le pétrole que 3.000 fabricants faisaient préparer en Amérique est aujourd’hui entre les mains d’un seul capitaliste qui a ruiné tous les autres.

La constitution de ces monopoles de fait est la conséquence de l’évolution capitaliste. En avilissant la concurrence, prétendue loi sur laquelle les économistes de l’école libérale ont basé tout leur

  1. Les ouvriers des manufactures se plaignent vivement des perturbations apportées dans leur travail par les corners. Les Trades Unions anglaises notamment insistent avec raison sur le tort que leur ont porté le corner de Liverpool sur les cotons en septembre 1889 et l’agiotage sur les fontes à Glascow en 1890-91. Néanmoins l’organisation, industrielle moderne en fait supporter le principal poids aux patrons et ces perturbations, quoique très fâcheuses, ne sont pas comparables aux arrêts absolus de la production qui étaient si fréquents dans l’ancien régime (chap. ii, § 4). En mars 1892, un fait tout nouveau dans l’histoire industrielle se produit en Angleterre. L’Union ouvrière des mineurs, de concert, au moins tacitement, avec les propriétaires de houillères, a décidé une interruption générale de travail pour empêcher la baisse du prix du charbon et permettre le maintien des salaires actuels qui sont fort élevés. Cette fois la coalition des producteurs comprend en même temps les employeurs et les travailleurs et elle semble être surtout dans l’intérêt de ces derniers. Mais le charbon étant un objet de première nécessité pendant l’hiver surtout, une grave violence est faite à l’intérêt des consommateurs. Pour empêcher la concurrence étrangère, les ouvriers des ports, sans doute achetés par la coalition, ont déclaré qu’ils ne déchargeraient aucun charbon de provenance belge.