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fait du principe de la liberté du travail en ne le concevant que sous sa forme individualiste. L’arrêtiste de Dalloz le fait ressortir en fort bons termes à propos d’une décision judiciaire :

Nous ne croyons pas qu’il y aurait lieu de prononcer l’annulation de traités entre fabricants qui n’impliqueraient pas l’emploi de moyens frauduleux, qui auraient pour but non de réaliser des bénéfices illicites, mais de remédier aux inconvénients résultant d’une situation passagère : par exemple d’éviter les conséquences que peut entraîner pour leurs ouvriers une crise industrielle ou commerciale. Un arrêt de la Cour de Nancy, 23 juin 1851 (D. P., 53, 2, 99), a annulé comme contraire à la liberté du commerce une convention par laquelle des individus exerçant la même industrie s’étaient engagés à maintenir à un taux invariable les façons de certains objets de leur fabrication, décidant qu’il n’y avait pas à tenir compte de ce que le prix des façons avait été établi sur la demande même des ouvriers. Mais cette convention avait été prise pour un temps indéterminé et, dans ces conditions, elle prêtait à la critique. Un pareil engagement limité à un certain temps et conclu à raison de circonstances exceptionnelles pourrait à notre avis être considéré comme valable[1].

Cette jurisprudence est devenue encore plus choquante depuis que la loi du 21 mars 1884 a autorisé les syndicats professionnels pour la défense des intérêts économiques et encouragé toutes les combinaisons faites par les ouvriers pour hausser leurs salaires. La nécessité de maintenir le salaire nécessaire des ouvriers ou d’empêcher des réductions toujours douloureuses, même quand elles portent sur des salaires élevés, obligera de plus en plus les patrons à recourir à des accords collectifs pour maintenir leurs prix de vente[2]. La jurisprudence française met nos industriels dans une grave infériorité vis-à-vis de leurs concurrents étrangers. Aucun

  1. Dalloz périodique, 1879, I, 345.
  2. Le 5 février 1892, les représentants des dix-sept compagnies qui exploitent les bassins houillers du Pas-de-Calais et du Nord ont eu une réunion à Lens dans laquelle, après avoir constaté que si le mouvement de baisse sur les charbons s’accentuait il était impossible de maintenir les salaires actuels, ont décidé de constituer une union houillère du Nord et de porter les prix du charbon tout venant à 15 francs la tonne comme prix de base avec augmentation de 1 franc par qualité.