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une législation qui est restée immuable depuis quatre-vingts ans, alors que le monde des affaires a complètement changé. L’art. 419 du Code pénal punit en effet non seulement les faux bruits, les manœuvres dolosives, mais encore « la réunion ou coalition entre les principaux détenteurs d’une même marchandise ou denrée tendant à ne la pas vendre ou à ne la vendre qu’à un certain prix et qui par ce moyen auront opéré la hausse ou la baisse du prix des denrées ou marchandises… au-dessus ou au-dessous des prix qu’aurait déterminés la concurrence naturelle et libre du commerce ».

Cette incrimination est juste en ce qui touche les accaparements commerciaux, quoique les législations belge, allemande et anglaise, en présence de l’impossibilité de l’appliquer d’une manière suivie, l’ait rayée de leurs codes. Mais elle est absolument injuste, si on l’étend aux accords conclus entre les producteurs pour se défendre contre les inconvénients inévitables de la concurrence. Or une jurisprudence constante leur applique l’article 419, non pas en condamnant correctionnellement leurs membres (des poursuites par le ministère public sont impossibles en fait), mais en frappant de nullité civile ces conventions. Cependant les pouvoirs publics ont proclamé eux-mêmes à plusieurs reprises la légitimité des combinaisons industrielles, des accords entre les principaux producteurs d’une marchandise pour en régler la production et en fixer les prix. En 1864, les propriétaires des salines de l’Ouest se plaignaient de ce que la concurrence des salines de l’Est et du Midi les empêchait de vendre leurs produits. Le rapporteur du Sénat, après un examen consciencieux de la situation, s’exprimait ainsi :

Dans l’Est et le Midi les ventes sont organisées ; une entente existe entre tous les propriétaires d’une même région pour concentrer autant que possible dans une direction unique le mouvement des ventes et des prix. L’Est, par l’inépuisable fécondité de ses sources souterraines, le Midi par l’admirable aptitude de son climat peuvent produire à l’infini. Une production illimitée conduit à une concurrence effrénée. Pour échapper à ce danger, on a établi une