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de cette action gouvernementale, cette organisation tend à s’établir spontanément partout où le régime industriel moderne se développe[1]. Les fabricants de jute de l’Inde et les fabricants de sel du Japon sont constitués en syndicats ! Un grand industriel américain, M. Carneggie, expose ainsi l’origine et la raison d’être de ces combinaisons :

L’économie politique enseigne que des marchandises ne peuvent pas être produites au-dessous du prix de revient. C’était sans doute vrai au temps d’Adam Smith ; mais cela ne l’est plus aujourd’hui. Quand un article était produit par un petit manufacturier employant généralement chez lui deux ou trois compagnons et un ou deux apprentis, il lui était facile de limiter ou même d’arrêter sa production. Aujourd’hui, avec la manière dont sont conduites les entreprises manufacturières dans d’énormes établissements, qui représentent un capital de 5 à 10 millions de dollars, et avec des milliers d’ouvriers, il en coûte bien moins à un de ces manufacturiers de continuer la production avec une perte de tant par tonne ou par yard que de la ralentir. L’arrêter serait désastreux.

Pour produire à bon marché, il est essentiel de marcher en plein. Vingt chapitres de dépense sont des charges fixes et l’arrêt ne peut qu’augmenter la plupart d’entre elles. C’est ainsi qu’un article est produit pendant des mois, — et j’ai connu des cas où cette situation a duré des années, — non seulement sans profit industriel et sans intérêt pour le capital, mais avec une perte continue du capital engagé. A chaque inventaire annuel le manufacturier constatait la diminution de son capital et néanmoins s’arrêter eût été encore plus désastreux. Ses confrères étaient dans la même situation ; les années succédaient aux années… Sur un sol ainsi préparé toute combinaison qui fait espérer un soulagement est la bienvenue… On convoque une assemblée des intéressés, et, en présence du danger pressant, on décide d’agir de concert ; on forme un trust, chaque manufacture est taxée à un certain chiffre de production. On nomme un comité et par son intermédiaire le produit en question est distribué au public à un prix rémunérateur[2].

En France, nos industriels sont dans une position très difficile, placés qu’ils sont entre le mouvement économique qui pousse à l’adoption d’organisations nouvelles du travail et

  1. V. ce point de vue développé par le Dr Aschrott, Die Amerikanische Trusts als Weiterbildung der Unternehmer Verbande (Jena, 1889).
  2. The North-American Review, février 1889, the bugaboo of trusts.