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mais des accords de ce genre sont très rarement produits devant les tribunaux.

En Amérique, les enquêtes parlementaires faites en 1889 (§ 8) ont constaté une multitude de faits semblables.

Le syndicat des minotiers du Canada arrive à déprimer le prix des grains et en même temps à hausser celui de la farine. Le syndicat des exportateurs d’œufs dans la province d’Ontario maintient systématiquement très bas le prix des œufs : dans chaque petite ville de marché, il a un agent qui a toujours une réserve d’œufs considérable, de manière à pouvoir déprimer brusquement les cours, si un rival voulait donner aux cultivateurs un prix plus élevé que ceux fixés par le syndicat.

Une de ces coalitions, célèbre entre toutes, quoique n’étant point faite sous une forme légale elle échappe à toute constatation officielle, est le syndicat des quatre grandes maisons de préparation et d’exportation du corned beef de Chicago : Armour, Swift, Nelson Morris et Hammond, qu’on appelle vulgairement les big Four, les quatre géants.

En 1881, les abattoirs de Chicago sacrifiaient 575.924 bêtes à cornes ; en 1887, 1.963.051 : en sept ans le chiffre était quadruplé. Chicago fournissait un marché énorme de plus de dix millions de bouches. Ce gigantesque développement était dû à l’action du syndicat.

Le syndicat commença par mettre la main sur tous les marchés dans les États voisins de Chicago qui en valaient la peine, détruisant la concurrence en établissant à côté des bouchers rebelles des boucheries rivales à bas prix. Les débouchés ainsi monopolisés, les big Four étaient maîtres du marché du bétail. Les éleveurs ont dû en passer par les conditions léonines que leur imposaient les quatre géants… Quand les éleveurs ont voulu se révolter, abattre et vendre eux-mêmes leur viande, ils se sont vu refuser les wagons réfrigérants engagés par contrat aux quatre géants… Éleveurs et consommateurs sont à leur merci ! Aux uns ils paient pour le bétail sur pied le prix qu’il leur plaît ; aux autres ils font payer la viande abattue aussi cher qu’ils peuvent[1].[fin page294-295]

  1. Max Leclerc, Chose d’Amérique (Plon, 1891), pp. 71 et suiv., p. 156. Huit Etats voisins, en 1889, édictèrent de concert des lois soumettant à une inspection sanitaire toutes les viandes envoyées de Chicago dans leur territoire, de manière à couper en fait ses débouchés au Syndicat ; mais les cours fédérales ont déclaré ces lois inconstitutionnelles, comme violant l’article de la Constitution qui garantit la liberté du commerce entre les États.