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accumulent des capitaux formidables pour une opération donnée-elle n’a qu’une durée de quelques mois et est exempte de risques, précisément parce qu’elle s’étend sur le monde entier ; eux-mêmes planent sur le marché sans laisser voir ni pieds ni mains ; ils échappent au fisc qui ne sait les atteindre, et ils sont déifiés par ceux qu’ils font entrer en participation de leurs gains ! Le véritable commerce, qui est local et n’a à sa disposition que des moyens bien inférieurs, ou bien spécule lui-même et il gagne sans mérite de sa part, ou perd sans qu’il y ait de sa faute : ou bien il n’ose pas et il est réduit à vivre au jour le jour et à se transformer en simple agent décès grands spéculateurs… L’industrie en général en souffre encore plus. Sa nature même l’empêche de se faire spéculatrice et elle ne peut cependant vivre au jour le jour ; car sa qualité essentielle est la prévoyance[1].

IV. — Un corner qui serait sage et modéré n’aboutirait pas à des catastrophes. Il pourrait même rendre des services aux producteurs et aux industriels aussi, qui travaillent bien plus volontiers dans une période de hausse que dans une période de dépréciation, dans des cours de découragement, comme on dit. Une opération conduite ainsi a été faite sur les soies et a complètement réussi. En novembre 1885, le prix des soies en Italie et sur le marché de Lyon était tombé si bas que les producteurs italiens étaient ruinés et que la fabrique lyonnaise, menacée dans le prix de ses produits par la crainte d’une nouvelle baisse sur la matière première, restreignait de plus en plus ses achats. Une grande maison de Lyon et les principaux banquiers de l’Italie du Nord s’unirent pour acheter tous les stocks disponibles et acheter à terme sur les mois prochains également en hausse. Le gouvernement italien consulté engagea les grandes banques d’émission du pays à soutenir cette opération par de longs crédits et elle se continua en effet pendant près de deux années.

Le résultat fut de remonter le prix des soies de 10 à 20 francs suivant les sortes ; c’était modéré et c’est grâce à cette modération que le Consortium de Turin, comme on l’a appelé,

  1. Usi ed abusi del Capitale dans la Rassegna Nazionale du 1er mars 1889.