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les moyens les plus immoraux. Les fausses nouvelles répandues à voix basse ou les journaux financiers spéciaux étaient l’enfance de l’art. On recourt aujourd’hui à de fausses statistiques de la production pour influencer les cours[1].

On cherche parfois, disait Alfred de Courcy, l’origine d’une nouvelle sinistre démentie le lendemain. On dit avec une certaine indifférence et par euphémisme : ce n’était qu’un bruit de bourse. Le vrai nom de ces bruits, c’est escroquerie et brigandage. Les hommes qui les répandent sont des brigands.

Un écrivain génois du xviie siècle, Raphaël de Turri, décrit les manœuvres de ce genre auxquelles se livraient ses compatriotes et les efforts qu’ils faisaient pour fausser les cours par des transactions fictives. Un édit des États généraux de Hollande de 1677 les stigmatise et les punit[2]. Elles n’en continuèrent pas moins à Amsterdam et ailleurs.

L’article 419 du Code pénal punit les fausses nouvelles répandues pour amener la hausse ou la baisse. Mais en fait ces manœuvres sont impossibles à saisir : témoin cette histoire qui se passe aux États-Unis :

Le célèbre spéculateur Daniel Drew, quand il était le maître de l’Erie

  1. Cette manœuvre-là est déjouée par les corporations commerciales, qui établissent un service d’informations permanent placé à la disposition de tous leurs membres. Le Cotton Exchange de la Nouvelle-Orléans est arrivé sur ce point à la perfection. Chaque jour l’état de la température sur tous les points du Cotton belt est indiqué dans son grand hall par des dépêches télégraphiques.
  2. Henri Desaguliers en parle en ces termes, dans l’Instruction abrégée sur les livres à double partie (pp. 36-37), qui est jointe à l’édition de 1721 du Traité général du commerce d’Amsterdam, de Samuel Ricard : « Nous ne pouvons approuver de tels monopoles, qui ne butent (en se rendant maîtres des marchandises) qu’à se faire seuls riches et opulents, par tromperie et sur la ruine d’une infinité de familles, lesquelles se voient souvent (par de telles entreprises) réduites à la mendicité et à la misère, par une obscure soumission des chefs à se blouser dans leur propre ruine, en faisant comme les autres trompeurs, ainsi par considération, la volonté de tels Monopoleurs, ennemis du genre humain, lesquels prétendent, rendre un chacun esclave de leurs volontés avec mépris et selon leurs raisons (plutôt babil et caquets) ; les autres n’entendent rien dans le négoce ni commerce, il n’y a que leur esprit trompeur et superfin en supercherie qui sache tout, il n’y a point de Paon ou Pan, qui sache mieux faire la roue et se mirer dans sa queue aux rayons du soleil, que ces sortes de personnes dans leurs allées et venues ou directions et machinations. On laisse à toute chrétienne régence à faire leurs réflexions nécessaires pour pouvoir empêcher et prévenir de telles entreprises trompeuses et ruineuses pour tous les habitants de chaque ville. »