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insensées ne lui avaient pas survécu et il paraît prouvé que les rédacteurs de nos Codes avaient entendu laisser toute liberté aux opérations à terme sur les marchandises. Mais en 1824 la Cour de Paris et la Cour de cassation (arrêt de Forbin-Janson) crurent devoir considérer comme des paris les opérations à terme se réglant par des différences. Le perdant pouvait dès lors, en invoquant l’exception de jeu (art. 1965 du Code civ.), se soustraire à l’obligation de payer sa dette. En pratique, rien n’était plus difficile pour les tribunaux que de décider s’il y avait eu jeu ou non. Les cours d’appel, contrairement aux tribunaux de commerce, avaient prétendu en trouver la preuve dans le fait que l’opération devait se résoudre par le paiement d’une simple différence ; mais elles étaient arrivées à annuler ainsi des opérations très sérieuses et parfaitement légitimes.

Loin de décourager les joueurs et les spéculateurs aventureux, cette jurisprudence donnait une prime à la malhonnêteté ; car, en cas de perte, le joueur de mauvaise foi se dérobait à ses engagements, tandis que l’honnête homme payait. C’est donc à bon droit que la loi du 28 mars 1885 a reconnu « comme légaux tous marchés à terme sur effets publics et autres, tous marchés à livrer sur denrées et marchandises, lors même qu’ils se résoudraient par le paiement d’une simple différence[1] ».

Il en est ainsi à peu près chez tous les peuples civilisés, soit par la disposition de lois expresses, soit par un usage qui a frappé de désuétude les lois anciennes. Chose curieuse, c’est en Amérique, là où la spéculation est le plus aventureuse et l’agiotage parfois le plus immoral, que la législation se montre le plus hostile aux opérations à terme. De loin en

  1. D’après les travaux préparatoires et le texte même de cette loi, l’exception de jeu pourrait encore être opposée aux purs paris sur la hausse ou la baisse de valeurs ou de marchandises, qui dès l’origine devraient se résoudre par une différence : mais il faudrait pour cela prouver qu’une convention spéciale a été faite dans ce but, ce qui en fait n’arrive pas. La loi du 28 mars 1885 a eu pour but d’empêcher qu’on opposât cette exception aux marchés à terme, qui ont été conclus dans les formes usitées sur les bourses. V. jugement du Tribunal civil de la Seine, 1er décembre 1888, dans la Gazette des tribunaux du 19 janvier 1889. Cf. Levé. Code de la vente commerciale (Pedone, 1891), p. 434.