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négociants et les industriels sont obligés de modifier incessamment l’état de leurs engagements suivant les cours. Ils le font en revendant ce qu’ils ont acheté à terme, en rachetant ce qu’ils ont vendu à livrer. Pour faciliter ces ventes et reventes successives, l’usage du commerce a introduit depuis bien longtemps les filières, en anglais transférable notices, en allemand schlussbriefe[1]. Sous sa forme la plus usitée actuellement, c’est un avis ou un ordre de livraison émis par le vendeur et transmis à tous les acheteurs successifs par des endossements qui occupent une large bande de papier[2]. Des courtiers spéciaux, appelés filiéristes ou liquidateurs, la font circuler et règlent, le jour où la marchandise est livrée et payée par le dernier acheteur au premier vendeur, toutes les différences résultant des cours divers auxquels les ventes et reventes ont été faites pendant la circulation de la filière.

Par suite de ces ventes et reventes successives, il peut arriver que le dernier acheteur d’une filière soit le vendeur primitif. C’est ce qu’on appelle une filière tournante. Sur les places anglaises et américaines, ainsi qu’à Brème, cette opération est appelée ring (anneau).

Lorsque la filière est arrivée aux mains d’une personne, qui n’a pas elle-même revendu, elle est arrêtée.

Le livrataire, comme on l’appelle, doit prendre livraison et payer le prix dans un délai strictement déterminé, car on veut éviter la prolongation indue du règlement de la filière. S’il ne prend pas livraison ou ne paye pas, il est exécuté, c’est-à-dire que la marchandise est revendue à ses risques et que

  1. La filière sous le nom d’overweysing est décrite dans le Traité général du commerce de Samuel Ricard (4e édit. Amsterdam, 1721), pp. 48-49. Vraisemblablement elle devait être pratiquée sur les places italiennes auparavant. En France, elle est mentionnée pour la première fois dans un jugement du Tribunal de commerce de Marseille de 1823.
  2. En même temps qu’un avis de livraison, la filière peut être un ordre de livraison créé par le détenteur de la marchandise. Cet ordre spécialise alors la marchandise. Certains règlements, ceux des farines et des sucres, à Paris, notamment, exigent en ce cas que la filière, pour circuler, soit visée par les magasins généraux détenteurs, qui certifient la présence de la marchandise à l’entrepôt sous son numéro d’entrée. Pour les huiles à Paris on peut créer des filières sans marchandise, en spécialisant le lot qui fait l’objet de la livraison seulement lorsqu’on remet au receveur un bon de livraison.