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se poser comme les défenseurs de l’intérêt du consommateur[1].

Ils lui ont rendu dans plusieurs occasions des services signalés et ce sont eux qui finissent par faire échouer toujours les tentatives d’accaparement. En 1888, il s’était formé à Buda-Pesth un corner pour faire hausser le maïs et il y était effectivement parvenu. Une spéculation à la baisse (une contremine, comme on l’appelle en Allemagne) s’établit immédiatement : elle attaqua la hausse par des ventes à découvert (blanco-verkaufe), provoqua des importations pour se couvrir et faire baisser effectivement le maïs et elle déjoua ainsi les desseins des accapareurs[2].

C’est à l’existence d’une spéculation à la baisse que l’Europe a dû de ne pas subir sur le blé des prix de famine à la suite de l’insuffisance de la récolte de 1891. Au mois de juillet, les grands spéculateurs de Chicago avaient essayé d’enlever les cours : les baissiers leur tinrent énergiquement tête et au mois de septembre ils avaient ramené les cours à un niveau en rapport avec l’état réel des choses. La prohibition de l’exportation des céréales par le gouvernement russe, au lieu de causer une panique, comme on s’y attendait, n’influença pas le marché général des blés. Les spéculateurs à la baisse réussirent d’autant mieux que l’excès de la hausse avait fait partout sortir des stocks invisibles (chap. vi, § 7) qu’on ne soupçonnait pas[3].

C’est un des exemples qui montrent le mieux comment l’existence d’une spéculation étendue, avec le double rôle que

  1. L’incrimination des suroffres faite par l’article 419 du Code pénal est incompatible avec la reconnaissance des marchés à terme : « Tout acheteur à terme est un spéculateur à la hausse, de même que tout vendeur à découvert est un spéculateur à la baisse, » a dit justement le Tribunal de la Seine dans son jugement sur l’affaire des métaux. « Acheteur tantôt au comptant, tantôt à terme, Secrétan a pu légalement, aussitôt après ces mêmes achats et successivement, provoquer lui-même la hausse des cours sans pour cela pratiquer la suroffre sur les prix demandés par les vendeurs eux-mêmes tombant sous l’application de l’art. 419 du Code pénal. » (Cf. § 14.)
  2. David Cohn, op. cit., pp. 96-98, pp. 141, pp. 151-153. Cf. Arthur Crump A new departure in the domain of political Economy, p30.
  3. V. dans the Economist, 12 décembre 1891, Monthly trade supplement, une correspondance de New-York qui résume l’histoire du commerce du blé pendant l’année 1891.