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plus dommageable pour les agriculteurs que ne le sont les brusques oscillations auxquelles donnent lieu de loin en loin les corners ou même les campagnes de baisse. Aujourd’hui, au contraire, en Europe comme aux États-Unis, tout propriétaire est sûr de pouvoir vendre ses produits au jour qu’il veut et à un prix en rapport avec la cote du marché régulateur. Ceux qui s’en plaignent n’ont qu’à voir le sort qui est fait aux producteurs de fruits, de légumes, de bétail et de toutes les denrées pour lesquelles il n’y a pas de marché à terme établi. Ils sont complètement à la merci des intermédiaires. Tel est aussi le cas à Paris des petits fabricants de meubles, qui ne peuvent écouler leurs produits qu’en recourant à la trole ou qui sont obligés de les engager au mont-de-piété. Ainsi que le disait un grand spéculateur, M. Keerne, dans une enquête à New-York en 1882, s’il n’y avait pas à Chicago un grand marché sur les blés où chaque jour la spéculation fait des affaires immenses, si l’on réduisait toutes les opérations à celles du comptant, souvent pendant trois ou quatre semaines le farmer ne pourrait vendre ses produits ; le prix même n’en serait pas fixé. Au lieu de cela, la spéculation fixe tous les jours les prix : ils sont connus instantanément dans tout le pays par le télégraphe, et les agents des spéculateurs achètent à ces prix toutes les quantités offertes par le farmer. Un pays surtout qui, comme l’Amérique, a à exporter des produits naturels, blé, coton, pétrole, a intérêt au développement de la spéculation ; car elle ne peut se soutenir que par l’exportation. Elle achète en quantités qui dépassent la demande actuelle ; elle soutient les prix en vue de revendre plus cher à l’Europe.

Il y a aussi du vrai dans ce que disait un autre déposant célèbre, Jay Gould, c’est que les erreurs de la spéculation retombent principalement sur elle et que, dans l’ensemble, c’est surtout le monde des spéculateurs qui supporte les pertes causées par de fausses manœuvres. Témoin M. Hodges Hutingdon, l’un des plus grands négociants en blé de Chicago, qui en janvier 1891 s’est retiré, après avoir perdu 85 millions de