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Les gains du commerce ne peuvent pas plus être tarifés, ni même être ramenés, en conscience, à une mesure fixe, que ses risques de perte ne peuvent être arbitrés à l’avance. La concurrence en est le seul régulateur, en fait comme en droit.

Le commerçant de profession n’est pas d’ailleurs seul à spéculer et les gens du monde, qui déclament contre la spéculation, s’y livrent chaque jour, à moins qu’ils ne soient des imprévoyants et des dissipateurs. Le père de famille, qui achète en gros ses provisions au moment des récoltes, spécule. Le propriétaire d’autrefois, qui gardait dans ses greniers la récolte de plusieurs années pour attendre un prix plus élevé, était un spéculateur, comme le capitaliste qui achète à la Bourse les actions des sociétés industrielles qu’il juge devoir prospérer, comme celui qui fait construire ou achète une maison dans un quartier où il estime que la population s’accroîtra. Ainsi que la concurrence, la spéculation est un instrument de progrès. M. Leroy-Beaulieu l’a dit judicieusement : une société où tout le monde ne voudrait placer ses fonds que d’une manière sûre, où chacun se résignerait à un intérêt de 3 à 4 p. 100 sans espérance de plus-value, une telle société n’aurait aucune activité industrielle et serait vouée à la routine.

Un exemple célèbre de spéculation nous a été conservé par les livres saints ; c’est celui de Joseph, qui, étant ministre du Pharaon, prévit qu’à sept années d’abondance extraordinaire succéderaient sept années de disette et qui dans cette prévision fit de grands approvisionnements de céréales. La famine survenant, il les vendit aux Égyptiens, si bien que non seulement ils durent donner au Roi tout leur argent et tous leurs troupeaux, mais qu’ils furent encore obligés de lui remettre leurs terres, dont ils avaient jusque-là la pleine propriété,