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nous de telle sorte que le petit n’est nullement sacrifié au puissant. En fait, ce régime a depuis longtemps réalisé ce que les États-Unis ont dû demander à l’Interstate commerce act de 1887[1]. On peut dire que sur cent critiques dirigées contre l’exploitation des compagnies françaises, quatre-vingt dix-neuf reposent sur l’ignorance des faits ou le mécontentement de gens qui n’ont pu réussir dans des prétentions non justifiées.

On peut discuter sans doute sur la durée des concessions et sur les clauses diverses des conventions passées avec les compagnies et soutenir que l’État eût pu exiger davantage[2]. Mais il ne faut pas oublier que sous le gouvernement de Juillet et la deuxième République, quand l’État voulait faire des conditions trop rigoureuses et mesurer étroitement les concessions, les chemins de fer ne se construisaient pas. Le temps perdu si fâcheusement n’a été regagné que du jour où les conventions de 1855 ont donné aux compagnies la puissance financière nécessaire à l’accomplissement de leur œuvre.

L’augmentation de valeur considérable de leurs actions, qui a eu lieu, s’est produite sur un espace de temps tel que la plus grande partie a été réalisée par les acheteurs de seconde et de troisième main. Les actions et obligations de chemins de fer constituent avec la rente, peut-on dire, la fortune de la bourgeoisie française et elles tendent à se disséminer de plus en plus (chap. i, §9). Puis il faut tenir compte du changement, qui, de 1850 à 1892, s’est produit dans le taux de la capitalisation : il n’a pas été moindre d’un tiers, l’intérêt des placements faits dans des entreprises de ce genre ayant

  1. Sur l’Interstate commerce act des Etats-Unis, v. l’ouvrage magistral d’A. Carlier, la République américaine (Guillaumin, 1890), t. II, p. 568.
  2. Les rachats des canaux sous le gouvernement de Juillet, et surtout celui des petites lignes de chemins de fer en 1880 ont donné lieu à bien des critiques. Toutes les fois que l’État porte atteinte à des droits acquis, il est placé dans l’alternative ou de spolier ou d’accorder des indemnités exagérées. On le voit journellement dans les affaires d’expropriation : grande raison pour ne pas constituer sans nécessité absolue des monopoles sur lesquels il faut plus tard revenir !