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les compagnies ne sauraient subsister et avec lesquelles même elles ne peuvent se soutenir longtemps, de sorte qu’en écrasant les autres elles-mêmes tombent en ruines. Quelque faiseur de projets montrait-il à Frédéric II un moyen d’acquérir de l’argent pour son trésor ou même pour sa caisse particulière, il ne balançait point à lui accorder un privilège, que l’auteur du projet disait toujours nécessaire au maintien de sa spéculation. Toutes ces compagnies avaient quelque monopole qui les mettait en état d’exister au prix de la subsistance des peuples. Frédéric lui-même s’en était réservé plusieurs très importants : outre le sel, monopole général de tous les gouvernements européens, c’étaient le tabac, le café, les cartes à jouer, le bois à brûler. Lorsqu’il voyait que l’on trouvait de grands avantages dans le monopole qu’il avait donné, il prenait l’entreprise pour son compte et les entrepreneurs en devenaient les employés.

Grâce aux économistes de la fin du siècle dernier et du commencement de celui-ci, ces monopoles disparurent avec l’ancien régime ; mais d’autres se sont élevés sous le nouveau pour pourvoir à certains grands services publics : tels sont les compagnies de canaux, les chemins de fer, les télégraphes, les banques d’émission, les grandes entreprises de navigation, qui, sans avoir de monopole de droit, en ont un de fait par les subventions postales. Bien des monopoles locaux se sont constitués aussi : dans les ports, les compagnies des Docks et magasins généraux ; dans toutes les villes, les compagnies de distribution des eaux et du gaz, parfois celles des omnibus et des tramways.

Proudhon, dans un ouvrage fameux : le Manuel du spéculateur à la Bourse, a célébré cette constitution d’une féodalité industrielle, s’élevant du sein de l’anarchie industrielle, comme devant aboutir forcément à l’exercice par l’État de tous les grands services économiques, d’abord sous la forme d’un Empire industriel et plus tard sous celle d’une République industrielle. Les collectivistes allemands, qui, par l’intermédiaire de Lasalle et de Karl Marx, ont emprunté en réalité toutes leurs idées à Proudhon, ont applaudi au rachat des chemins de fer prussiens par l’État et auraient appuyé également l’expropriation des compagnies d’assurances, si M. de Bismarck eût donné suite à cette idée. [fin page224-225]