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quand l’un des adversaires n’a pas d’autre supériorité que d’avoir plus de capitaux et de pouvoir tenir plus longtemps et quand il vend réellement à un prix ruineux[1].

Néanmoins il est aussi difficile de formuler une règle morale précise sur l’emploi de ces procédés que de l’empêcher en fait.

D’abord, qu’est-ce que vendre au-dessous du juste prix[2] ?Tel prix ruineux pour un producteur peut ne pas l’être pour

  1. On peut rapprocher de cette pratique la vente des articles sacrifiés par les grands magasins comme moyen de se créer une réputation de bon marché. Mais peut-on empêcher quelqu’un de faire un cadeau aux consommateurs, pour se faire de la réclame, voire de la popularité ?Saint Thomas enseigne que chacun peut vendre spontanément sa marchandise au-dessous du juste prix, Summa Th., 2a 2æ, quæstio 78, art. 2, ad septimum.
  2. Le Père Fristot, dans le travail cité plus haut, s’exprime ainsi sur cette question :

    « En dehors des cas de fraude qui appartiennent à la justice naturelle, il ne parait pas que le concurrent qui abaisse les prix ou propose une marchandise de moindre valeur, dont l’infériorité peut être vérifiée par l’acheteur, viole un droit naturel de justice, lorsque, par ces moyens, il détache la clientèle de son voisin et l’attire à lui. On ne démontre pas que la possession en matière de clientèle suffise à constituer un monopole. Néanmoins ne peut-il se faire qu’en agissant de la sorte il pèche, et même gravement, contre la charité ?Evidemment oui, si, sans y être contraint par sa propre nécessité, en faisant déserter le concurrent, il le prive d’un moyen nécessaire à son existence ou à sa situation. Mais, encore une fois, on ne voit pas qu’il y ait là une violation de la justice, entraînant l’obligation de restituer le dommage ainsi causé.

    « Un commerçant peut-il abaisser le prix de vente au-dessous du prix rémunérateur, au risque de ruiner ses concurrents ?A part la considération de charité que nous venons d’indiquer, peut-on taxer d’injustice celui qui abandonne à l’acheteur le bénéfice auquel il avait droit et même lui livre quelque chose du sien ?Mais si, en agissant de la sorte, il s’expose à faire faillite, il pèche envers tous ceux auxquels il a fait du tort.

    « Celui qui affronte des pertes momentanées afin de ruiner ses concurrents et ensuite faire remonter les prix, pèche-t-il par injustice envers ceux-ci ou envers les acheteurs ?S’il use du monopole ainsi usurpé pour élever le prix de vente au-dessus du maximum admis par l’appréciation commune, il commet une injustice envers les clients. Envers ses concurrents, il a péché contre la charité ; mais est-il tenu strictement à restitution ?Il semble qu’ici les casuistes seraient partagés… l’équité naturelle ne fournit pas à elle seule un terrain solide sur lequel un vendeur, quel qu’il soit, puisse fonder un droit primordial et antécédent à la clientèle.

    « Et tel paraît être en effet le sentiment presque unanime des théologiens casuistes. Ils touchent ce point lorsqu’ils examinent s’il est permis de vendre au-dessous du taux légal établi par le pouvoir civil et à quoi est tenu celui qui y a contrevenu. Or, s’ils admettent que le délinquant est obligé de payer l’amende ou l’indemnité à laquelle il a été condamné par sentence judiciaire, ils hésitent à affirmer qu’avant cette sentence il soit tenu en conscience à restitution ou à compensation ; le plus grand nombre et les plus considérables par l’autorité et la science se prononcent pour la négative. C’est qu’ils contestent à ce taux légal le caractère de loi obligeant en conscience et le considèrent