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une médaille avec cette légende : ex libertate commercii ubertas, comme une protestation contre la réglementation du commerce des céréales, que le chancelier de L’Hôpital avait introduite en France, et qui, pour le grand malheur de la monarchie, dura jusqu’à la veille de 1789. L’expérience a démontré qu’elle était pour beaucoup dans les disettes des deux derniers siècles[1] (chapitre viii, § 1).

Revenons maintenant à la concurrence, qui est le grand régulateur des marchés et l’âme de cette transformation économique.

VIII. — La concurrence est à la fois un principe de justice et un instrument de progrès[2]. Du moment que l’État n’assume pas la charge de fournir des emplois réguliers aux citoyens, de leur garantir un profit rémunérateur et au besoin de les nourrir, il faut bien qu’il laisse chacun libre de gagner sa vie et celle de sa famille, en trouvant des acheteurs à ses produits. L’intérêt général, ici encore, coïncide avec celui des particuliers. Les produits sont faits pour les consommateurs, il ne faut pas l’oublier, et tout consommateur a droit à les avoir au meilleur marché possible[3]. Nul n’a le droit d’imposer au public des marchandises créées plus chèrement

  1. Le Play pouvait justement invoquer, en faveur de la liberté du commerce des céréales, l’exemple de la Russie, qui en 1840 se trouvait, sous le rapport des communications, à peu près au même point que la France au xviiie siècle. V. les Ouvriers européens (2e édition), t. II, pp. 152-153. La propagation par certains professeurs de contrevérités économiques a eu pour résultat de pousser plusieurs gouverneurs de province, pendant la disette que la Russie vient de traverser en 1891-92 à prendre des mesures qui rappellent celles de Necker et de Calonne, à défendre par exemple aux commerçants d’acheter les blés. Le résultat immédiat, nous assurent des témoins placés sur les lieux, a été une aggravation de la rareté et de la cherté des blés. Un témoignage non moins important sur les avantages de la liberté commerciale, même avant les chemins de fer et la navigation à vapeur, est celui du cardinal Consalvi, constatant les heureux effets du motu-proprio, par lequel Pie VII, en 1801, avait aboli tout le système des approvisionnements publics : « On s’aperçut très promptement de la différence par rapport aux vivres, et Rome, qui avait toujours vécu dans les transes de ne pas être ravitaillée durant toute l’année et qui alors n’avait pas en magasin pour 40 jours de subsistances, ne manqua jamais de rien, même dans les saisons les moins propices. A dater de ce moment, et sans que l’autorité s’en mêlât, Rome se vit toujours abondamment pourvue. » Mémoires (Plon, 1865), t. II, p. 260.
  2. V. sur ce sujet un article par le Père Fristot S. J., dans la Revue catholique des Institutions et du Droit de janvier 1890.
  3. Ce droit peut souffrir cependant des dérogations fondées sur les devoirs des citoyens envers la communauté nationale. Le législateur peut forcer à payer plus cher certaines marchandises nationales que les marchandises étrangères similaires pour retenir des hommes et des capitaux sur le territoire. Il peut grever de taxes somptuaires certains produits de luxe, comme l’alcool ou le tabac. Mais il doit apporter la plus grande modération dans l’exercice de ce droit pour ne pas enrichir une classe de citoyens au détriment des autres. (Cpr. chap. i, § 5.)