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Nous ne connaissons rien dans l’histoire de comparable à l’énergie et à la hardiesse de conception des marchands italiens qui du xiie au xive siècle établissaient leurs comptoirs dans toutes les contrées de l’Europe[1]. Ils furent les propagateurs les plus actifs d’une culture supérieure et il n’est point étonnant que les conciles et les Papes par leur intervention constante, que les princes, par leurs faveurs, les aient encouragés et soutenus, jusqu’au jour où chaque pays eut une classe industrielle et commerçante nationale. Au xvie et au xviie siècle, les marchands hollandais et anglais ont joué hors d’Europe le même rôle au profit de leur patrie respective, mais sans avoir la même grandeur morale ni remplir le morne rôle de haute civilisation.

En réalité, jusqu’au commencement de ce siècle, le commerce dans l’intérieur des pays continentaux portait seulement sur des objets de luxe, dont le prix élevé pouvait couvrir les frais de transport. Sur les rivages de la mer ou le long des fleuves facilement navigables, il avait en outre pour objet les céréales, au moins dans les années de disette. Nous avons sous les yeux un Traité général du commerce imprimé à Amsterdam en 1781, où sont décrites les opérations du commerce qu’on faisait à cette époque dans les divers pays de l’Europe. Les profits dont il est question sont bien supérieurs à ceux d’aujourd’hui, mais aussi quels risques !Accidents de transport terrestre ou maritime, droits de douane et péages à chaque passage, gênes de toute sorte et intermédiaires de tout rang imposés au commerçant par les autorités locales, chances de guerre, d’embargo ou de blocus,

    bien certaines opérations d’accaparement analogues au syndicat des cuivres et des étains et qui eurent du reste la même fortune (chap. viii, § 12) ; mais d’autres sont évidemment les récriminations des marchands qu’avait évincés la substitution du marché de Lisbonne au marché de Venise pour les produits de l’Orient. Il faut aussi tenir compte de l’affolement du public par une hausse des prix dont il ne pouvait apprécier alors la cause réelle, l’augmentation déjà sensible des métaux précieux. Une critique plus juste aurait pu, croyons-nous, faire un certain départ entre ces incriminations confuses et parfois contradictoires.

  1. V. sur les mœurs et la culture intellectuelle des marchands italiens du xiie siècle la Vie de Saint François d’Assise, par Lemonnier (1890, Lecoffre), tome I, chapitres i et ii.