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reposait plus ou moins sur des monopoles de fait[1]. Les risques aussi étaient en proportion. Au moyen âge encore, les commerçants devaient être des hommes de guerre. Ils ne réussissaient dans leurs expéditions lointaines qu’à la condition de former des groupes étroitement solidarisés, comme les Lombards, les Florentins, les Hanséates, les Génois, les Catalans. Ils faisaient le commerce dans l’Europe continentale à peu près comme les Européens le font aujourd’hui en Chine et au Japon, avec la concurrence entre eux en moins. Le génie de quelques hommes rares trouvait dans ces circonstances le moyen de s’élever très haut. Tel fut Jacques Cœur. Il faut lire dans le beau livre de M. de Beaucourt le récit de sa grandeur commerciale et de l’envie qu’elle excitait. « Naguères il était un povre compaignon, dit Jouvenel des Oursins ; mais j’ai veus par lettres escrites de sa main qui se dit presque riche de V à VI cent mille escus : aussi il a empoigné toute la marchandise de ce royaume et partout a ses facteurs, qui est enrichir une personne et appovrir mille bons marchands. » La protection dont le pape Nicolas V le couvrit dans sa disgrâce suffirait à justifier ce grand homme, quand même une meilleure connaissance des faits économiques ne nous ferait pas reconnaître dans ces accusations le langage de la jalousie[2].

  1. « Ainsi s’explique, dit de Metz Noblat, l’énorme richesse de certains peuples commerçants de l’antiquité. Ils exerçaient un commerce de monopole et s’en réservaient les immenses profits, tantôt en enveloppant leurs opérations d’un profond secret, tantôt en recourant à la force des armes pour écarter la concurrence d’autres nations. Les mêmes faits se sont reproduits dans des temps très rapprochés de nous. Le poivre, la cannelle, le café, le coton, le thé ne se peuvent produire, ou ne se produisaient jadis que dans des contrées lointaines avec lesquelles la plupart des nations de l’Europe n’avaient pas de relations directes. Ces denrées, très rares en Occident, y valaient dix, quinze, vingt fois autant que sur les lieux de production. Les commerçants les achetaient au prix courant sur les marchés de l’Inde, de l’Arabie, de la Chine, etc., et les revendaient en Italie, en France, en Espagne, à un prix bien supérieur au prix d’achat accru des frais d’échange et de transport. C’est là ce qui fit la fortune de Gênes et de Venise, au moyen âge, et, plus tard, du Portugal, de l’Espagne et de la Hollande. » Les Lois économiques (2e édit., Pedone-Lauriel, 1880), chap. xiii.
  2. Histoire de Charles VII, t. V, p. 404 (Picard, 1891). On peut dire la même chose, au moins dans une certaine mesure, des plaintes qui s’élevèrent en Allemagne dans les dernières années du xve siècle et les premières du xvie contre les grandes compagnies de commerce que quelques riches marchands de Nurenberg, d’Augsburg, de Wurzburg avaient formées. Les accusations qu’a recueillies Janssen (Geschichte des deutschen Volkes, t. I, pp. 385 à 396) signalent