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commerciale qui ont été si répandues. Elles ont eu sans doute pour première cause les tromperies et les mensonges auxquels les marchands ont recours trop souvent. « Ce n’est pas chose facile, disait Trithemius, de garder toujours une stricte probité, lorsqu’on est engagé dans le commerce.  » C’est ce qui inspirait déjà à Cicéron, d’ailleurs si plat devant les chevaliers exploiteurs des impôts et usuriers en grand, son jugement sévère sur le commerce de détail.

Il faut aussi tenir compte d’un préjugé particulier aux lettrés. Aristote, qui voit dans le brigandage, tel que le pratiquaient de son temps les ancêtres du roi des montagnes, un mode naturel d’acquisition, déclare le commerce méprisable, parce que les gains réalisés par l’échange ne sont pas immédiatement fondés sur la nature[1]. « Les marchands sont les plus faux et les plus sordides d’entre les hommes, écrivait Érasme. Ils pratiquent la plus méprisable des industries. Bien qu’ils soient menteurs, parjures, voleurs et ne soient occupés qu’à duper les autres, ils veulent être partout les premiers, et, grâce à leur argent, ils y réussissent. »

Le vulgaire croit que le commerce n’augmente pas la richesse publique, parce qu’il se bornerait à faire passer les valeurs d’une main dans une autre, en prélevant un bénéfice au détriment des producteurs et des consommateurs.

L’analyse économique démontre que, par le fait du transport, de l’approvisionnement, de la distribution, il y a une véritable production d’utilité. La qualité qu’ont les produits de satisfaire des besoins humains varie en effet suivant les lieux, et d’autre part le temps épargné par le commerçant tant aux producteurs qu’aux consommateurs est, contrairement à un vieux dicton, ce qu’il y a de plus coûteux au monde.

La place inférieure, attribuée au commerce dans la hiérarchie des industries comparativement à l’agriculture et aux arts manufacturiers[2], s’explique cependant par deux considérations.

  1. Politiq., liv. I, chap. iii, §§ 16, 18, 23.
  2. Saint Thomas : « Oportet quod perfecta civitas moderate mercatoribus utatur », et « Dignior est civitas si abundantiam rerum habeat ex territorio proprio quam si per mercatores abundet ». Cpr. Le Play, la Réforme sociale, chap. xxxviii, § 3.