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L’idée que la mise en présence des offres et des demandes est la meilleure détermination du juste prix était en germe dans la théorie sur les ventes faites aux enchères. On admettait que le juste prix était déterminé par le résultat même de la vente ; c’est là en effet que les offres et les demandes se produisent de la manière la plus impersonnelle[1]. Elle était aussi à l’état latent dans les règlements municipaux, qui obligeaient à apporter toutes les marchandises sur le marché et à conclure les transactions en public ; car le propre du marché est de mettre en présence les offres et les demandes et de laisser leur égalisation se faire d’elle-même[2].

Quand les communications furent moins intermittentes, cette vérité devint évidente, surtout dans les pays où le commerce était le plus développé. Là où l’ancien état économique se maintenait, comme en France et en Allemagne, Gerson, Biehl, Trithemius, Langenstein déclaraient que le gouvernement étant plus sage que les citoyens, c’était à lui à tarifer les marchandises et les salaires, sans tenir compte des variations du marché et uniquement d’après leur prix de revient[3]. Mais en Italie et en Espagne les canonistes avaient des vues plus judicieuses. Bernardin de Sienne et saint Antonin de Florence

  1. Un des plus grands progrès commerciaux de notre époque consiste précisément dans l’organisation périodique de ventes aux enchères pour les principales matières premières (chap. vii. § 3).
  2. Certains règlements sur les marchés à terme tendent à faire revivre cette pratique sous une autre forme (chap. vii, §§ 13 et 14).
  3. V. citations dans Endemann, Studien in der romanisch-canonistichen. Lehre, t. II, pp. 30 à 48, et dans Janssen, Geschichte des deutschen Volkes, t. I (4e édit.), pp. 410 à 412. Ce dernier écrivain a le tort de présenter comme l’expression permanente et absolue de la doctrine chrétienne des vues inspirées à des écrivains recommandables par les circonstances économiques au milieu desquelles ils vivaient et aussi par des préjugés d’école. Quand on étudie l’histoire économique de l’Allemagne, on est frappé de l’opposition qui régnait entre la pratique des villes du Rhin et du Sud d’une part et les théories économiques basées sur l’ancien régime féodal, qui subsistaient encore chez les écrivains. En fait, la productivité du capital sous la forme d’argent a été reconnue de très bonne heure dans certaines parties de l’Allemagne. V. dans Endemann, Studien, t. II, pp. 152 et suiv., pp. 374 et suiv., les passages relatifs aux oppignerationes germanicæ. La discussion mémorable sur la légitimité d’une allocation fixe de 5 p. 100 allouée par les marchands à ceux qui leur apportaient des fonds à faire fructifier, discussion qui eut lieu à Ingolstadt, à Bologne et à Vienne (V. Janssen, loc. cit., pp. 407 et suiv., note), en est une preuve. Prétendre attribuer à l’influence néfaste du droit romain la manifestation d’une nouvelle forme de la vie économique est puéril.