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demandes, [fin page198-199] quia pretium rei est mutatum secundum diversitatem loci vel temporis[1].

V. — Quoique les fixations légales des prix usitées au moyen âge et dans l’ancien régime fussent surtout inspirées par la croyance erronée que le législateur pouvait faire à sa volonté le bon marché et dominer les conséquences de la rareté des marchandises, il faut cependant tenir compte de l’isolement où se trouvaient les villes et les cantons ruraux ainsi que du fractionnement des marchés. Des monopoles locaux étaient constamment à redouter et à déjouer.

Les producteurs et les propriétaires ou détenteurs d’agents productifs, dit M. de Molinari, étaient pour la plupart en possession d’un monopole naturel dû à l’étroitesse et à l’insuffisance du marché. Grâce à ce monopole, ils pouvaient établir le prix de leurs services plus ou moins au-dessus du taux nécessaire auquel les aurait ramenés la concurrence. De là la nécessité de coutumes, de réglementations ou de taxes destinées à y suppléer[2].

C’est au nom de ce principe, quoique les mêmes raisons de fait n’existent plus, que certaines municipalités françaises taxent encore le pain et la viande, par une pratique unique dans le monde civilisé.

  1. S. Thomas, S. Th., 2a 2æ, quæstio, 77, artic. 4, ad secundum, et ibid., art 2, ad secundum : « Mensuras rerum venalium necesse est in diversis locis esse diversas propter diversitatem copiæ et inopiæ rerum ; quia ubi res magis abundant consueverunt esse majores mensuræ. Cf. ibid., artic. 3, ad quartum : « In casu præmisso, in futurum res expectatur esse minoris valoris per superventum negotiatorum. »
  2. Journal des Economistes, janvier 1886, p. 32. — Les règlements des prix par les corporations ou par les statuts des villes du moyen âge cherchaient à mettre le prix des produits en rapport avec les besoins de la vie du producteur et avec les moyens du consommateur. Ces tentatives d’équilibre, que l’on essayait d’imposer aux petits marchands locaux, s’évanouirent forcément le jour où les produits étrangers arrivèrent sur le marché. (V. Cunningham, Growth of English commerce and indutry, p. 244.) Mais, même à l’époque où les fixations des prix dans l’intérêt des membres des corporations étaient le plus en honneur, les scolastiques avaient parfaitement reconnu que la valeur des produits ne dépend pas du travail normal que l’ouvrier y a consacré, selon la théorie de Karl Marx, mais bien de l’utilité qu’ils ont sur le marché pour le consommateur. « Labor operantis nunquam cadit sub venditione ; sed solum opus ; emens non emit plus propter laborem, sed propter fructum operis, ad quem nihil facit labor operantis, » dit Durand de Saint-Pourçain au commencement du xiv siècle. Decisiones in Libr. Sentent., (éd. Paris, de Roigny, 1550), lib. IV, dist. 25, q. 3, cité par M. Brants, Débuts de la science économique, p. 60. Cf. St Thomas in libr. III Sentent, dist. 33, quæst. 5, ad primum.