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qu’habituellement sa position est plus mauvaise que celle de l’acheteur. C’est le cas notamment de celui qui cherche à vendre un immeuble, cas auquel le droit civil moderne a restreint l’application de la loi romaine. Mais le principe dans sa généralité s’applique aussi à la situation inverse de l’acheteur qui ne reçoit pas l’équivalent de son argent.

Effectivement les plus anciens monuments du droit canonique insistent sur l’injustice qu’il y a à abuser de la position spéciale d’un acheteur pour lui vendre au delà du prix courant. « Placuit ut presbyteri admoneant plebes suas ut et ipsi hospitales sint et non carius vendant transeuntibus quam mercato vendere possint, » dit un ancien concile[1]. D’après saint Thomas, qui généralise la solution, il est également injuste d’acheter au-dessous du juste prix et de vendre au-dessus[2]. La spéculation commerciale, la recherche du gain ne pouvait plus désormais s’exercer que sur les éléments impersonnels du marché et non plus exploiter la situation personnelle de tel ou tel acheteur. « Indigentia istius vel illius hominis non mensurat valorem, sed indigentia communitatis eorum qui inter se commutare possunt, » écrit Buridan, avec une remarquable précision de langage[3].

Un principe fécond de moralité et de modération pénétrait ainsi dans la société. La liberté nécessaire aux transactions, la légitime recherche de l’intérêt personnel n’en étaient nullement gênées ; car saint Thomas ajoute avec beaucoup de justesse : Justum pretium non est punctualiter determinatum, sed magis in quadam œstimatione consistit, ita quod modica additio vel minutio non videtur tollere œquitatem justitiœ[4]. C’est là-dessus que les scolastiques postérieurs ont basé leur distinction entre le supremum, le medium et l’infimum justum pretium, disant qu’il était défendu de vendre

  1. Decretum Gregorii, lib. III, tit. 17, de Emptione et Venditione, cap. i.
  2. Summa Theologica, 2a 2æ, quæstio 77, art. 1 et 4, et quœstio 61, art. 4 : Utrum justum sit simpliciter idem quam contrapassum.
  3. Ethicorum, lib. V.quæstio 16, cité par le savant professeur de Louvain, M. Brants, les Débuts de la science économique dans les écoles françaises au xiiie et au xive siècles (Paris, Champion, 1881), p. 58
  4. Summa Theologica, 2a 2æ, quœstio 77, art. 1, ad primum.