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leur semblait-il, avait ou devait avoir une notion assez nette de la valeur de l’argent pour ne pas se laisser prendre aux exagérations de langage usitées dans les transactions courantes[1]. Ils ne méconnaissaient nullement le principe que la valeur des produits et des services, quoique variant incessamment, est déterminée par des lois naturelles et est appréciée sûrement par le bonus pater familias, c’est-à-dire par l’opinion des gens à ce connaissant. Constamment, soit dans certaines actions, soit dans les restitutiones in integrum, les magistrats et les arbitres avaient à appliquer cette notion[2]. Aussi un rescrit de Dioclétien put-il, sans contredire à aucun principe juridique, accorder au vendeur la faculté de faire rescinder la vente faite pour un prix inférieur de plus de moitié à la valeur de la chose, alors même qu’aucun dol n’avait été employé[3].

C’est la première manifestation de la théorie du juste prix. Elle est l’application juridique de cette notion économique que, dans les contrats commutatifs, les produits ou services échangés doivent être équivalents, puisque l’avantage que reçoit l’une des parties est la cause de l’avantage qu’elle s’engage à procurer à l’autre partie[4]. Le prix payé par l’acheteur est la cause de l’obligation du vendeur de livrer la chose ; la livraison de la chose par le vendeur est la cause de l’obligation de l’acheteur de payer le prix. Cette notion plus épurée du droit paraît due à l’influence chrétienne. Saint Paul avait dit : « ne quis supergrediatur neque circumveniat in negotio fratrem suum, quoniam vindex est Dominas de his omnibus[5]. » Cette doctrine fut d’abord appliquée au vendeur qui n’avait pas reçu l’équivalent de sa chose, parce

  1. V. Digeste, de Minoribus, fr.16, § 4. Locati conducti. 22, § 2, fr.23. Cf. S. Augustin, de Trinitate, libr. XIII, cap. 3 : Vili vultis emere et caro vendere. Livre des Proverbes, XX, v. 14. Malum est, malum est dicit omnis emptor et cum rescesserit gloriatur.
  2. V. entre autres, Dig., de Minoribus XXV annis, frag.27, § 1.
  3. Code Justinien, de Rescendenda venditione, lois 2 et 8.
  4. Cet équivalent peut d’ailleurs consister seulement dans un alea ; c’est sur cette notion que sont fondées toutes les assurances. Les progrès de la statistique permettent d’évaluer les risques de plus en plus exactement,
  5. Ad Thessalonicenses, I, c. vi.