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La condamnation au point de vue de la conscience de la réticence sur les vices de la chose vendue est de grande conséquence. Les moralistes décident que l’on ne peut vendre une créance dont le débiteur est insolvable, alors que le vendeur connaît cette situation et que l’acheteur l’ignore[1]. C’est sur ce principe que Daguesseau, en 1720, dans son Mémoire sur le commerce des actions de la Compagnie des Indes, se basait pour soutenir que, l’effondrement total des actions étant dès lors certain, on ne pouvait plus les vendre ; car c’était vouloir repasser sa perte à autrui[2]. De nos jours, la même solution doit être, semble-t-il, appliquée aux valeurs de Bourse que l’on sait, par des informations particulières, n’avoir pas de valeur réelle, au moins si on les vend à un prix qui ne soit pas en rapport avec cet alea[3].

IV. — Les jurisconsultes romains, après avoir réprimé le dol qui aurait déterminé un contrat et particulièrement les tromperies sur la nature ou les qualités de la marchandise, avaient estimé que la lésion qu’une partie éprouverait sur le prix, soit en ayant vendu à trop bon marché, soit en ayant acheté trop cher, n’appelait pas l’intervention du magistrat. Chacun,.

    servent indemnes et cura aliquo lucro congruo, quia si venderent puras res emptores non vellent dare justum pretium, quia alii vendunt alia sic mixta minori pretio, videntur posse excusari, dummodo non fiant mixturæ quæ noceant… Summa theol., pars la, t. I, c. 17, § 4, cité avec approbation par Ballerini-Palmieri, t. III, p. 703. V. les solutions personnelles que donnent ces auteurs, p. 701. L’usage connu et accepté de tous autorise la vente des succédanés sous le nom de la marchandise, pourvu que le prix soit établi en conséquence.

  1. Ballerini-Palmieri, Opus theolog. morale, t. III, p. 705, 706.
  2. Œuvres complètes (édit. in-4o, t. X, 2e part.), pp. 237 et s.
  3. Gury, Theologia moralis, n° 895, se montre moins rigoureux et semble refuser seulement cette faculté à celui qui a des informations en raison d’une position officielle : Quæritur an possis pretio currente vendere rem quam scis mox minoris valituram. Affirmativa probabilius et verius. Ratio est quia pretium presens est justum et nondum immutatum, modo tamen hæc scientia sit privata ; si enim communis esset, jam pretium mutaretur. Aliquando tamen peccare potes contra caritatem. Dans la séance de la Société d’économie politique du 5 août 1891, M. Frédéric Passy a déclaré que, « s’il était permis de profiter d’informations ou de renseignements honnêtement obtenus pour opérer à la Bourse dans des conditions meilleures que ses concurrents, il en était tout autrement, si c’était à raison de fonctions publiques et par des moyens répréhensibles que le spéculateur se trouvait en possession d’une information particulière. La science économique et la morale le stigmatisent comme un joueur qui se sert de cartes biseautées ».