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L’application de cette doctrine aura pour résultat de justifier dans bien des cas les pratiques du commerce et de réduire à leur pure valeur de survivance coutumière des préjugés, qui ont pu du reste avoir une base réelle dans d’autres états sociaux (§ 6).

En même temps, elle fera entendre une condamnation sévère à des pratiques contemporaines que couvrent à l’envi l’impunité judiciaire et de lâches complaisances dans la vie du monde[1].

Sans doute, la loi civile ne peut atteindre tous les actes coupables ; elle doit en laisser un grand nombre impunis pour ne pas empêcher le bien de se produire. Il n’en importe que plus de former la conscience individuelle et publique : la conscience individuelle d’abord, car la pénétration des idées de justice, dans le plus grand nombre d’âmes, est le moyen primordial de moralisation : la conscience publique aussi, car l’opinion, par la presse, par l’association, voire par cette mise en interdit qu’on appelle le boycottage, peut beaucoup pour faire prévaloir la morale dans les affaires au delà du point où le législateur civil est obligé de s’arrêter.

Seulement il faut savoir exactement en quoi consiste la morale dans les affaires et ne pas y mêler des préventions renouvelées d’Aristote, qui déclare le commerce méprisable, parce que les commerçants recherchent le gain, au lieu de s’occuper uniquement de l’acquisition de la sagesse !

C’est la perspective du gain seule cependant qui peut engager les commerçants à accomplir le vaste travail que comporte le service d’approvisionnement et à courir les risques qui y sont inhérents (chap. vii, § 1). Une saine morale leur demandera seulement : — 1° d’observer dans toutes leurs opérations les règles de la justice commutative ; — 2° d’accomplir le précepte de la charité dans la mesure où il est obligatoire pour chacun selon ses facultés et d’après les circonstances externes ; — 3° de coordonner leur recherche du gain au but suprême de la vie par une discipline intérieure[2]. [fin page190-191]

  1. Nous suivons principalement dans ce chapitre l’Opus theologicum mo­rale, vol. III, de Justifia et Jure, des PP. Ballerini et Palmieri, de la Société de Jésus, professeurs au collège romain (Prato, 1890). Cet ouvrage donne le dernier état de la science et emprunte une autorité particulière à la position qu’ont occupée ses auteurs dans la première université romaine.
  2. Thomas, Summa theologica, 2a 2æ, quæstio 77, art. 1 et 3.