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par le directeur, et, comme ils n’étaient pas palpitants d’intérêt, on en écoutait la lecture d’une oreille assez distraite ! »

C’est ainsi que, malgré l’observation des formalités légales, se produisent ces distributions de dividendes fictifs, ces doublements de capital en imputant sur de prétendues réserves les versements des nouvelles actions, ces achats d’actifs ou d’immeubles à des prix frauduleux, qui se sont produits dans les sociétés anonymes, depuis les compagnies de Law jusqu’à la Société des métaux, avec une répétition des mêmes procédés, qui devrait servir de leçon aux actionnaires.

En France, on y met au moins des formes. Aux États-Unis, on n’en met aucune et les affaires des sociétés anonymes sont conduites par leurs directeurs avec un secret absolu sous prétexte que, s’ils rendaient compte aux actionnaires des affaires sociales, ils mettraient leurs rivaux sur la voie pour leur faire concurrence[1]. Tantôt ils sacrifient absolument les intérêts des actionnaires, qui ne reçoivent rien ; tantôt ils distribuent des dividendes fictifs pour faire hausser les actions et réaliser des coups de bourse aux dépens du public.

Le Président de la compagnie gouverne despotiquement et fait souvent passer ses intérêts avant ceux de ses actionnaires. Sa comptabilité est entourée de mystères : elle est tout autre dans la réalité que sur le papier. Le Baltimore and Ohio, avec un surplus nominal de 56 millions de dollars, a dû se déclarer incapable de tenir ses engagements.

Les manœuvres des railway men prennent toutes les formes. Jay Gould a payé de sa poche les intérêts du Wabash jusqu’au jour où il a vendu très cher toutes les actions aux Anglais. C. P. Huntingdon a payé 6 p. 100 de dividende sur le Central Pacific dans le même dessein. On suppose que les grands potentats des chemins de fer ont profité de la déroute actuelle pour acheter des paquets d’actions et se rendre prépondérants dans des compagnies qu’ils fusionneront à leur gré[2].

  1. V. the Economist, 27 juillet 1889, p. 968.
  2. L’Economiste français du 22 novembre 1890. V. encore les faits cités par the Economist, 18 juillet 1891 : Denver prefered shares, an object lesson, et the Nation, de New-York, 8 octobre 1891.