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n’est pas menaçante[1]. Les bilans présentés aux actionnaires sont établis de telle sorte que les intéressés n’y peuvent rien voir. L’habitude s’est introduite dans les bilans des banques et des grandes sociétés de crédit de dissimuler aux actionnaires certaines opérations sous la rubrique comptes spéciaux. Dans le bilan du 31 janvier 1889, les comptes spéciaux du Comptoir d’escompte montaient à 87 millions, chiffre égal à tout son capital, à deux millions près. C’est sous cette étiquette que se cachaient les opérations anti-statutaires faites par son directeur avec la Société des métaux. Un examen attentif de toutes les pièces de comptabilité serait nécessaire pour découvrir des fraudes de ce genre ; mais les censeurs et les vérificateurs des comptes sont désignés à l’avance par le conseil d’administration lui-même et sont la plupart du temps absolument incompétents. L’actionnaire, qui pose des questions à l’assemblée, s’il n’est pas un compère, est infailliblement roulé par le directeur, qui seul connaît réellement l’affaire[2].

Au sein des conseils d’administration, souvent, les choses vont de même. On en a eu un exemple incroyable dans l’affaire du Comptoir d’escompte. Le président du conseil d’administration, M. Hentsch, un banquier expérimenté, interrogé par le président du tribunal correctionnel, qui s’étonnait de ce que les rapports lus aux séances du conseil par le directeur, Denfert-Rochereau, ne lui eussent pas ouvert les yeux sur le péril couru par le Comptoir, répondait sans sourciller : « Oui, mais ces rapports étaient préparés d’avance

  1. Parfois, les personnes qui veulent composer à leur gré les assemblées générales empruntent des titres moyennant un déport, c’est-à-dire un prix payé au prêteur. Cette opération, se faisant sous la forme d’un achat de titres au comptant et d’une revente à terme, l’emprunteur se trouve avoir le droit de figurer aux assemblées générales. C’est là l’explication du déport, qui s’est produit souvent sur les actions du canal de Suez et des chemins de fer portugais dans les quinzaines qui ont précédé leurs assemblées générales.
  2. La Compagnie du Mississipi payait les dividendes attribués aux actionnaires avec les nouveaux versements appelés sur les actions. V. Daguesseau, Mémoire sur le commerce des actions (Œuvres complètes, in-4, t. X), p. 272. Comparez la description détaillée des procédés de Law dans Al. Courtois, Histoire des banques en France, pp. 20 à 26. La répétition de ces procédés par l’Union générale est frappante.