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Ce qui est plus grave, c’est que la plupart de nos grands financiers constituent des sociétés de crédit qui leur servent de paravent et auxquelles ils ne confient que leurs affaires les moins lucratives, parfois celles qui sont douteuses[1].

Très souvent, les mêmes personnes font partie des conseils d’administration de plusieurs sociétés et sacrifient les intérêts de l’une à ceux de l’autre. Aux États-Unis, des chemins de fer ont été absorbés indûment par d’autres compagnies au moyen de ce procédé. En France, le Comptoir d’escompte a été précipité dans la ruine de la Société des métaux, parce que les directeurs de cette affaire figuraient dans son conseil d’administration et y avaient une influence prépondérante.

Il y a tout un ensemble de manœuvres que nous étudierons en détail quand nous exposerons le mécanisme de la Bourse, et qui ont pour résultat de faire monter arbitrairement les actions d’une société. Des procès retentissants ont, dans ces dernières années, mis à nu la pratique si fréquente des dividendes fictifs. Le contrôle n’existe pas en réalité dans les sociétés anonymes : tout est aux mains du directeur, de l’administrateur délégué, du président du conseil d’administration, selon les cas.

On a dit que la société anonyme était une république financière. C’est vrai en théorie, mais complètement faux en pratique. L’assemblée des actionnaires, qui ne se réunit qu’une fois par an ou sur un ordre du jour fixé à l’avance, en cas d’assemblée extraordinaire, n’est composée généralement que des porteurs d’un certain nombre d’actions, et les voix sont proportionnelles au nombre des actions. Les directeurs effectifs de la société la mènent absolument, tant que la ruine

  1. « Deux sociétés, la Caisse centrale populaire et la Caisse de Trouville-Decauville, création de M. Armand Donon, qui présidait le conseil d’administration de la première et était administrateur de la seconde, semblent avoir servi à couvrir, vis-à-vis de la Société de dépôts et comptes courants, certaines opérations dans lesquelles M. Donon, son président, M. Blondel et leur groupe avaient des intérêts personnels importants. » Rapport des administrateurs provisoires à l’Assemblée des actionnaires de la Société de dépôts et comptes courants du 7 avril 1891.