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ont comme une spécialité d’administrer des sociétés qui ne paient pas de dividende ! Le public ne veut pas être guéri du snobisme, qui lui fait croire qu’une société offre des garanties, parce qu’il y a dans son conseil un certain nombre de sénateurs, de lords, de députés, de ducs, d’anciens ministres[1]. C’est ce qui devrait, au contraire, le mettre en garde ; car ce ne sont point des personnes de cette catégorie sociale qui fondent les affaires commerciales et industrielles. Or, quand une affaire est de premier ordre, les vrais fondateurs la gardent pour eux et n’appellent pas bénévolement des étrangers à en partager les profits. Lorsqu’il en est autrement, l’habileté des fondateurs consiste à réaliser leur bénéfice tant que la société vit d’espérances, puis à s’effacer derrière ce conseil de parade et à le laisser seul aux prises avec de redoutables responsabilités le jour où l’affaire tourne mal.

Même dans les affaires les plus sérieusement conduites, un seul gros actionnaire peut être le maître de fait d’une société, sans en avoir la responsabilité personnelle.

Nous possédons en France, dit un écrivain très expert en ces sujets, M. Alf. Neymarck, un très beau groupe d’institutions de crédit de premier ordre, de grandes compagnies industrielles et commerciales magnifiquement ordonnées… Ce sont de grandes associations, de vastes agrégations d’intérêts, de capitaux, de forces actives : de par la loi et leurs statuts, elles sont des sociétés anonymes. Eh bien ! dans la réalité elles sont aussi peu anonymes que possible. Ce que l’on voit surtout en elles, derrière elles, parfois au-dessus d’elles, c’est le nom d’un fondateur habile, d’un administrateur éprouvé, d’un directeur compétent et autorisé, d’un organisateur remarqué et connu. [fin page176-177]

  1. Dans le cours de 1890, le Lord Maire de Londres, sir Henry Isaacs, une des notabilités de la Cité, s’est compromis dans l’émission d’un si grand nombre d’affaires véreuses, alors que l’usage impose au Lord Maire de s’abstenir de tout appel financier au public durant son année d’exercice, qu’il a dû se démettre de ses fonctions avant l’expiration de leur terme. (V. the Economist, 13 juin 1891.) C’est ce même personnage, qui avait essayé de fonder à Paris la Société des grands magasins, dont la souscription publique échoua dans des conditions telles qu’heureusement la police pût le forcer à rendre les versements des quelques naïfs trompés par le titre de lord maire de la Cité.