Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

peu près partout le principe de la formation libre des sociétés anonymes a prévalu, à la condition de se conformera des cadres légaux strictement délimités et d’observer des formalités, faute desquelles les actionnaires sont considérés comme formant une société de fait soumise aux responsabilités ordinaires du droit civil ou du droit commercial. L’Autriche est seule à exiger l’autorisation gouvernementale ; mais cette intervention du pouvoir ne paraît pas y assurer aux affaires un degré de moralité supérieur à celui des autres pays[1].

V. — Quand, en Angleterre, au dix-huitième siècle, les créateurs d’une manufacture demandaient une charte de corporation, leur but était d’échapper aux responsabilités du droit commun. Les entreprises organisées sous cette forme se montrèrent très inférieures à celles restées sous le régime de la partnership, de la société en nom collectif, et Le Play, quand il étudiait l’Angleterre, de 1840 à 1860, constatait que dans l’industrie et le commerce les entreprises de famille se substituaient graduellement aux sociétés par actions. Toutefois ce n’a été qu’une phase passagère dans l’histoire industrielle de l’Angleterre. Depuis vingt ans, les industries manufacturières adoptent de plus en plus le régime des sociétés par actions. Dans ces dernières années, par exemple, toutes les brasseries se sont constituées sous cette forme. Il en est de même en Allemagne et aux États-Unis. Cela semble une conséquence de l’importance de plus en plus grande des capitaux exigés par la production industrielle ; parfois, c’est seulement le désir de régler les parts de propriété des divers membres de la famille sous la forme d’actions, ce qui évite de diviser matériellement l’entreprise[2].[fin page162-163]

  1. En Amérique, dans quelques États où le mouvement économique est peu développé, il faut encore obtenir de la législature une charte d’incorporation pour constituer une société anonyme. C’est du reste une affaire de pure forme. Dès 1811, le grand État de New-York posa le principe que toute société industrielle pourrait se constituer sans responsabilité personnelle en remplissant les formalités légales. En 1837, ce principe fut appliqué aux sociétés de banque. V. Gibbons, the Banks of New-York, their dealers, the clearing house (New-York, 1859), p. 13. Depuis lors, il s’est généralisé et a été adopté par la grande majorité des États.
  2. V. the Economist, 23 mai 1891. Adam Smith, Richesse des nations, liv. V, chap. i. Le Play, la Réforme sociale, chap. xliv et chap. xlv, § 10. Sur les causes diverses qui poussent aux États-Unis à la transformation en sociétés anonymes des entreprises privées, V. the Nation du 24 juillet 1890.