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corps moral et la suppression de la responsabilité personnelle sur leur patrimoine pour les directeurs de l’entreprise ne pouvaient résulter que d’un acte de la Souveraineté, d’un privilège. C’est pour cette raison d’ordre juridique qu’en France jusqu’en 1863, en Angleterre jusqu’en 1856[1], en Prusse jusqu’en 1870, la constitution d’une société anonyme devait être approuvée par l’autorité publique. Quand les affaires qui nécessitaient cette forme d’association se multiplièrent, on dut renoncer à cette formalité qui semblait engager la responsabilité morale du gouvernement, alors que tout contrôle de sa part sur les chances de réussite de l’entreprise était impossible[2]. C’était en même temps lui donner sur les affaires une action pour laquelle il était incompétent et qui pouvait gravement compromettre ses représentants. On en eut la preuve sous l’Empire. Au moment des plus grandes spéculations du Crédit mobilier, une note parue au Moniteur universel, le 9 mars 1856, annonça que le gouvernement n’autoriserait plus de nouvelles émissions pendant l’année. Dès le 30 novembre, il autorisait l’émission de 214 millions d’obligations par les Compagnies de chemins des fers ; dans les deux cas il fut soupçonné d’avoir favorisé des manœuvres de Bourse[3]. Aujourd’hui, à

  1. En 1831, le Parlement, ne pouvant suffire à l’examen des demandes de chartes qui lui étaient adressées, autorisa la Couronne dans certains cas à les accorder. Un acte de 1855 détermina les conditions générales auxquelles la Couronne accorderait ces chartes comportant la limited liability. Enfin un acte de 1862, remplacé en 1867 par un plus complet, a supprimé cette formalité et permis aux sociétés limited de se former directement aux conditions de la loi. Néanmoins le Parlement est toujours appelé à donner des chartes aux compagnies, qui se forment pour l’exécution de travaux publics, parce qu’il faut leur concéder le droit d’expropriation et fixer les tarifs maxima qu’elles peuvent percevoir. Cela l’amène indirectement à régler, parfois contrairement au droit commun, des points de leur organisation intérieure et alors quand les compagnies veulent changer leurs statuts, elles sont obligées de demander au Parlement une modification à leur charte. La même chose se produit aussi en France, mais beaucoup plus rarement.
  2. Pour des raisons spéciales, les compagnies d’assurances sur la vie doivent obtenir l’autorisation du Conseil d’État, qui vérifie l’exactitude de leurs tarifs, mais ne garantit nullement leur succès financier. Le public ne peut malheureusement comprendre cette distinction. Une société d’assurances, le Crédit viager, étant tombée en faillite à la suite d’une mauvaise administration, les actionnaires ruinés ont adressé récemment au Gouvernement une pétition pour lui demander de les indemniser !
  3. Proudhon, Manuel du spéculateur à la Bourse (3e édit., 1857), pp. 446, 447. V. la plaidoirie de Berryer dans l’affaire du Crédit mobilier.