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Marseille ; elles ont, pendant un moment, donné une valeur énorme aux terrains des stations d’hiver de la Méditerranée et des stations balnéaires de l’Océan. Nulle part la hausse ne fut plus insensée et la chute plus profonde. M. Brelay a raconté spirituellement comment la Foncière lyonnaise vint, en 1880, révolutionner les départements des Alpes-Maritimes et du Var, en faisant à Hyères, à St-Raphaël, à Cannes, à Nice, à San Remo, à Menton, des acquisitions de terrains et des constructions, qui, prétendait-elle, devaient attirer des milliers d’étrangers. Les municipalités furent séduites et se lancèrent dans des travaux d’embellissement insensés. La population crut que c’était le signal d’une hausse indéfinie. La fièvre de la spéculation envahit ce monde de petits propriétaires et de petits commerçants, comme jadis au temps de Law elle avait affolé les hautes classes de la société française. Des sociétés de morcellement et de construction éclosaient chaque jour, espérant naïvement repasser leur affaire à des compagnies anglaises.

On se rua sur la terre ; on s’obéra pour acheter ou hypothéquer ; on superposa des promesses de vente ; on ne fit des contrats définitifs que lorsque plusieurs propriétaires fictifs se furent succédé en prélevant chacun un bénéfice. Il y eut un déplacement de fortunes inouï. Un terrain, qui avait valu cinq sous le mètre, passait en quelques jours à 10, 20, 30 francs ; le dernier acheteur en refusait hardiment 23. Le boutiquier, le négociant enterrait ainsi l’un sa petite épargne, l’autre son capital le plus rond : ils faisaient pis encore pour s’agrandir ou pour faire construire. L’entrepreneur divaguait comme les autres. Pressé de saisir les grandes affaires, il acceptait des marchés ruineux. Le crédit le soutenait largement en escomptant ses billets : l’argent venait : on croyait ainsi tout avoir. Tel qui avait vendu, — trop bien vendu, — se hâtait de racheter ailleurs à un prix plus élevé encore. A Cannes seulement, en 1880, les ventes de terrains montèrent à 30 millions environ[1].

Toute cette féerie devait s’effondrer brusquement au bout de trois ans, laissant les propriétaires et les commerçants

  1. V. l’Economiste français des 19 mai 1883 et 21 mars 1885. La même spéculation, suivie du même krach, s’est produite sur plusieurs de nos stations balnéaires de l’Océan, mais dans des proportions moindres.