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grands qui justifient la parole du Sage : n’empruntez jamais.

Cette maxime est surtout vraie dans les états économiques où le taux de l’intérêt est élevé et où les emprunts sont faits par des personnes qui ne sont pas à même de réaliser des bénéfices considérables à la fois par leur industrie et les capitaux qui leur ont été prêtés. Elle ne s’applique évidemment pas à l’industriel ou au commerçant moderne, qui fait escompter ses billets ou se fait faire des avances sur marchandises au 2, au 3, même au 4 p. 100 par an, ni aux grandes sociétés industrielles, dont les obligations sont émises à un prix qui fait ressortir l’intérêt, amortissement compris, à 4,50 par an, ni au propriétaire allemand, qui, grâce à d’excellentes institutions de crédit foncier, fait un emprunt remboursable en 50 ans par une annuité ne dépassant pas ce taux (§ 9).

Cela dit, on comprend que les législateurs d’autrefois se soient préoccupés des conséquences fatales de l’endettement pour la propriété foncière. Abolition des dettes dans les républiques antiques, prohibition absolue de l’intérêt, arrêt des intérêts quand ils ont doublé le capital[1], défense d’aliéner la terre[2], exclusion de certaines catégories de prêteurs particulièrement dangereux, comme les Juifs, ou au moins défense pour eux d’acquérir la terre[3] et de fonder des établissements

  1. Telle était la dernière législation de Justinien (Novelles 121, 138). Telle est aussi la législation chinoise ; l’intérêt légal au 30 p. 100 ne peut pas être perçu plus de trois ans. Eug. Simon, la Cité chinoise (Hachette, 1886), p. 114.
  2. La plus ingénieuse disposition sous ce rapport était celle de la loi mosaïque, qui ordonnait que tous les cinquante ans, à l’année jubilaire, les fonds de terre qui avaient été aliénés revinssent à leur propriétaire primitif ou à sa famille. (Lévitique XXV. Cf. Ezéchiel, XLVI, 17.) En réalité, chez les Hébreux, une aliénation n’était qu’une antichrèse et celui qui prêtait de l’argent dans ces conditions n’avançait que la somme dont il était assuré de pouvoir se récupérer dans l’espace de temps restant à courir jusqu’au jubilé. Cette combinaison était en rapport avec la prohibition de la perception d’un intérêt entre nationaux. Comme elle, elle resserrait étroitement l’usage du crédit. Elle avait l’inconvénient de dessaisir le cultivateur de sa terre, de son instrument de travail et était très inférieure sous ce rapport aux combinaisons modernes de crédit foncier. Elle remplissait son but politique, le maintien d’un même nombre de familles de condition semblable, grâce aux autres institutions qui assuraient la conservation de la race, comme le lévirat, l’exclusion des filles de la succession quand elles avaient des frères, l’obligation pour la fille-héritière de se marier dans sa parenté.
  3. C’est ce qui a lieu encore de nos jours dans les provinces du centre de la Russie. V. article de M. J. des Rotours, dans le Correspondant du 25 septembre 1891.