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La question est de savoir s’il y a une tendance générale et constante à l’accroissement de la valeur de la terre indépendamment de tout travail du propriétaire et par le seul fait de l’accroissement de la population qui réclame plus de subsistances, grâce à la protection que la loi donne à la propriété perpétuelle et héréditaire.

Au commencement de ce siècle, Ricardo a soutenu l’existence de cette tendance et a mis en évidence ces phénomènes sous le nom de théorie de la rente ; car tel est le nom que les économistes donnent à cette portion hypothétique du revenu des propriétaires fonciers, qui dépasse l’intérêt au taux normal des capitaux engagés. Après lui, Stuart Mill en a déduit un ensemble de conséquences logiques, qui constitueraient toute une dynamique fatale du mouvement économique. Enfin le socialiste californien Henri George s’est emparé de cette théorie, lui a donné un relief très grand par des exemples tirés de certaines spéculations sur les terres en Amérique et a fait de l’unearned increment la base d’un réquisitoire passionné contre la légitimité de la propriété foncière.

La donnée première de Ricardo nous paraît exacte en soi[1]. A bien des reprises, elle s’est vérifiée, dans les siècles de prospérité du moyen âge notamment[2] Le grand historien arabe, Ibn-Khaldoun, a décrit les phénomènes qui se produisaient au xive siècle dans le royaume arabe de Grenade, quand la population se pressait sur un territoire resserré sans communications possibles au dehors. Ils étaient absolument semblables à ceux que Ricardo a vus se répéter en Angleterre, lorsque des populations manufacturières croissantes en nombre réclamaient du sol national des subsistances de plus en plus

  1. Ce qui est inexact dans la théorie de Ricardo et de Mill, ce sont les conséquences qu’ils ont tirées du fait de la rente pour conclure à une tendance à la hausse des profits des capitalistes et à la détérioration de la condition des travailleurs. Ils n’ont pas fait attention aux autres forces économiques, qui, même là où la rente existe, relèvent le standard of living.
  2. M. Lamprecht, dans son grand ouvrage Deutsches Wirthschaftleben im Mittelalter (Leipzig, 1886), tome I, p. 1509, établit que, dans les pays du Rhin et de la Moselle, la population doubla au moins de l’an 900 à l’an 1100, et que, en 1200, elle avait quadruplé. Or, pendant ce temps la valeur des terres, qui, au viiie et au ixe siècle valait 100, était montée à 1184 dans la seconde moitié du