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que le banquier alloue aux personnes qui lui confient leurs fonds[1] est naturellement inférieur à celui dont il charge ceux à qui il les prête. Cette différence, qui parfois prend le nom de commission, est son bénéfice légitime. On voit par là que, contrairement aux préjugés vulgaires, le banquier n’est pas intéressé à l’élévation du taux de l’intérêt. L’essentiel pour lui est de multiplier les affaires sur lesquelles il perçoit sa commission.

Ces fonds ne sont habituellement confiés aux banquiers que pour de courtes périodes : souvent même ils sont retirables à vue ; car ils constituent cette partie de l’épargne qui n’est pas encore définitivement affectée à la capitalisation. Sous ce rapport les habitudes modernes diffèrent beaucoup des anciennes. De plus en plus, au lieu de thésauriser ou même de garder chez soi l’argent nécessaire à la dépense courante, on le confie aux banquiers pour gagner un intérêt qui, sur les dépôts à vue ne doit pas dépasser 1 ou 1 1/2 p. 100, surtout pour profiter de leurs services de caisse et avoir le moyen de régler ses affaires en disposant sur eux au moyen de chèques. Ces pratiques, nées en Italie par suite de la grande confiance qu’inspiraient les banques Vénitiennes et les Monts-de-piété napolitains[2], se sont principalement

  1. Au moyen âge, pour tourner l’application de la doctrine canonique sur l’usure, on imagina d’appeler dépôt, depositum irregulare, le prêt de sommes d’argent fait pour un temps plus ou moins court par un capitaliste à un banquier. Celui-ci acquérait l’usus nummorum et faisait participer le prétendu déposant à ses profits. En réalité rien ne ressemble moins aux dépôts. Ceux qui confient leur argent aux banquiers sont de simples prêteurs. En cas de faillite, ils ne sauraient retirer ces fonds comme de vrais déposants, qui en auraient conservé la propriété. Les canonistes et les scolastiques de ces époques, dominés par la théorie d’Aristote sur la stérilité de l’argent, avaient de la peine à comprendre les faits économiques nouveaux ; cependant, ils cherchaient des raisons pour légitimer les usages commerciaux de leur temps :ainsi Molina et Lugo, après avoir rapporté la pratique des banquiers, qui allouaient aux dépôts faits dans leur caisse des intérêts considérables sous des formes plus ou moins déguisées, les justifient au cas où le banquier non ex pacto sed ex animo liberati et grato illud emolumentum deponenti praestat. Ballerini et Palmieri, les professeurs contemporains du collège romain, disent, avec autant de raison que d’esprit : haec pro illa tantum œtate accipienda sunt atque credere licet, tunc non paucos bancarios utrumque praemium liberaliter contulisse. (Opus theologicum morale, t. III, p. 743. (Prato, 1890.)
  2. V. le grand ouvrage d’Eugenio Tortora, Il Banco di Napoli (Napoli, 2 vol. in-4, 1883), et du même auteur : Nuovi documenti per la Storia del Banco di Napoli (Napoli, 1890, in-4).