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Latran, sous Léon X, la formulait en ces termes : Ea est pro­pria usurarum interpretatio, quando videlicet ex usu rei QUÆ NON GERMINAT nullo labore, nullo sumptu, nullove periculo lucrum fœtusque conquiri studetur (session 5).

Cette thèse est rigoureusement exacte au point de vue économique, si on considère qu’elle visait exclusivement en fait les crédits faits en vue de la consommation. A cette époque, c’étaient de beaucoup les plus fréquents, les seuls sur lesquels se portât l’attention. L’argent prêté étant détruit par la consommation de l’emprunteur et n’ayant contribué à créer aucun nouveau produit, — non germinat, — il n’y a pas, par le seul fait d’un pareil contrat, matière à une rémunération pour le prêteur.

Conséquente avec elle-même, la doctrine canonique prohibait l’usure sous l’autre forme du crédit, en défendant de vendre plus cher à terme qu’au comptant[1]. Ici encore, elle

  1. Tous les économistes font dériver le droit à la perception d’un intérêt, ou à la majoration du prix en cas de vente à crédit, de l’emploi comme capital productif de l’argent prêté ou de la marchandise vendue. Récemment, M. von Bœhm-Bawerk, dans son grand ouvrage Kapital und Zins (2 vol. in-8, Innsbruck, 1884 et 1889), a soutenu que l’intérêt reposait essentiellement sur la différence de valeur entre une somme payée, une marchandise livrée aujourd’hui et la même somme payable, la même marchandise livrable, à une date ultérieure. Les actuaires calculent ces différences mathématiquement et une foule de combinaisons financières modernes sont basées sur cette donnée. Un vieux proverbe disait déjà : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. La théorie de M. von Bœhm-Bawerk est parfaitement exacte dans l’état de la société et c’est celle qui rend le mieux compte du mécanisme contemporain du crédit : mais elle ne peut s’appliquer aux époques dans lesquelles la notion du capital n’était point dégagée, comme nous l’avons indiqué au § 1 du présent chapitre, et où le crédit à la consommation était de beaucoup le plus répandu. En effet, pourquoi 1.000 fr. payables dans un an ne valent-ils en réalité que 950, 960 ou 970 fr., selon que nous calculons l’intérêt à 5, à 4, à 3 p. 100 ?Ce n’est pas à cause du periculum sortis indiqué par le vieux proverbe que nous venons de citer : Il faut supposer qu’il n’y en point dans l’espèce, pour que l’intérêt soit prohibé d’après la doctrine canonique ; c’est parce qu’aujourd’hui on peut gagner en un an 50, 40, 30 fr. avec un fonds de 1,000 fr. et qu’il y a pour le prêteur, pour le vendeur à terme, lucrum cessans d’autant. C’est précisément ce qui n’existait pas aux siècles du moyen âge, où la doctrine canonique sur l’usure s’est formulée et dans les hypothèses auxquelles elle s’applique. Aujourd’hui encore la Banque de France et les banques américaines n’allouent point d’intérêt sur les dépôts à vue, parce qu’il n’y a pas de lucrum cessans pour les déposants ou parce que le service de garde qui leur est rendu est considéré comme équivalent. Cette situation devait être fréquente à l’époque de S. Thomas. Il vise le cas d’une personne qui remet de l’argent à un prêteur de profession : « Si autem aliquis usurario alias habenti unde usuras « exerceat pecuniam suam committit ut tutius servetur, non peccat, sed utitur homine peccatore ad bonum ». Sum. Th., 2a 2æ, quœst. 78, art. 4 ad tertium.