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LA SŒUR ROSE

et n’ayant plus de mauvaises actions à commettre, j’en imagine : je cherche dans la foule les hommes que la foule écoute, et je leur raconte des histoires étranges. Je suis à présent comme sont tous les poëtes, tantôt dans le ciel, tantôt plus bas que la terre ; j’ai mes instants d’inspirations prophétiques, j’ai mes heures de découragement mortel.

Pendant que toute l’Europe était en armes avec l’Empereur (le moyen de faire son métier de diable avec un pareil homme ?) j’élevais sur mes genoux, avec une sollicitude plus que paternelle, un bel enfant anglais dont je faisais un grand poëte ; c’est moi qui lui ai dicté d’un bout à l’autre son poème de Don Juan. Eh bien ! à peine mon poëte chéri eut-il jeté dans les âmes contemporaines plus de désolation et plus d’épouvante que n’en avait jeté Voltaire en personne, voilà mon poëte qui se laisse mourir parce qu’il découvre un beau jour qu’il est légèrement boiteux du pied gauche et qu’il pèse dix livres de plus