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XXI
À THÉODOSE BURETTE.

veux-tu cependant quand toute autorité est brisée, que la critique conserve son pouvoir ? Comment veux-tu, quand nulle voix sage n’est plus écoutée dans ce malheureux royaume, que la critique soit écoutée ? Comment veux-tu, quand on va chercher au loin tant de parleurs de pacotille pour disserter à perdre haleine sur les affaires politiques, que l’écrivain qui n’est qu’un écrivain parle à la foule inattentive de romans et d’histoires, de comédiens et de comédies ? Eh ! voilà bien où est notre malheur, à nous autres qui cultivons les lettres pour les lettres même, à nous autres qui n’avons jamais eu d’autres ambitions que de rester à la place où le ciel nous a mis, à nous autres qui n’avons jamais été que des écrivains quand autour de nous tous nos confrères se faisaient des hommes politiques ! En effet, de toute cette phalange de jeunes esprits que 1830 a trouvés à peine entrés dans la carrière littéraire, combien peu sont restés à leur place ? Ils se sont tous nommés, par la grâce de la révolution de juillet, préfets, ambassadeurs, capitaines, ministres d’État, L’un d’eux surtout, le plus puissant de tous, espèce de Mirabeau longtemps médité à l’avance, qui tient en ses mains la fortune du pays : eh bien ! il était des nôtres, il n’était qu’un écrivain comme nous ; il a brisé le joug littéraire, et maintenant il impose à la France le joug politique. Le moyen, après ce grand exemple, que les écrivains consentent à rester dans leurs limites natu-