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XIX
À THÉODOSE BURETTE.

par derrière ; sous chaque sourire qu’on lui adresse se cache une injure, sous chaque poignée de main qu’on lui donne se cache une trahison. Il est exposé plus que personne à la lettre anonyme, cette bave menteuse ! Et que deviendrait-il si son valet de chambre ne les lisait pas le premier ?

Eh bien ! telle qu’elle est la position est des plus tenables, et l’on peut encore, même dans cette atmosphère chargée de haines et d’envies, être heureux, être libre, être aimé. L’amitié prévient ces tristesses : d’ailleurs, on rencontre de si beaux jours ! les rayons d’un si beau soleil traversent de temps à autre ce nuage ! Aujourd’hui c’est un talent inconnu que vous avez découvert, une enfant qui se morfondait dans une salle vide à qui vous criez : Courage ! voilà la tragédie ! Le lendemain, c’est un poëte au désespoir ; vous lui frappez sur l’épaule et vous lui dites : Salut, poëte !… Plus tard c’est un livre ignoré, et à ce livre ignoré vous envoyez soudain, par un effet de votre toute-puissance, la foule et la fortune ; ou bien c’est un horrible mélodrame applaudi à outrance par un stupide parterre ; alors, vous tout seul, vous levant dans ce désordre, vous prenez la défense de la raison outragée, de la langue française insultée, de toutes les majestés de l’art et de l’histoire livrées en pâture à des laquais en livrée ! Ou bien encore, par un matin de printemps, vous voyez arriver dans votre maison M. de Chateaubriand en personne, qui vous dit : Bonjour, comme