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XVI
À THÉODOSE BURETTE.

honoré la langue française et l’esprit humain. En ce temps-là on avait le temps d’écrire. Le style était non pas tout l’homme, mais quelque chose de l’homme, ou, tout au moins, c’était quelque chose d’humain. En ce temps-là on se préoccupait tout autant que de la bataille de Rocroy d’une oraison funèbre de M. de Meaux, ou d’un chapitre de M. de Retz, ou d’une épître de Despréaux, ou d’une fable de La Fontaine, ou d’une lettre de Mme de Sévigné, tout simplement.

En ce temps-là il y avait honneur et gloire à être un historien, un poëte, voire même un critique, oui, un critique ; mais cependant en ce temps-là la critique n’avait pas fait toutes ses preuves ; il fallait, avant que de prendre rang dans la cité, qu’elle eût passé par le feu roulant de Voltaire et qu’elle eût soutenu ce feu roulant avec le courage de Fréron. Dès-lors la critique gagna ses éperons, elle fut reconnue une puissance indépendante des autres puissances. Elle a fini par être souveraine à son tour.

Or, voilà bien justement pourquoi, malgré des inquiétudes que tu ne m’as pas toujours cachées, toi mon juge, toi mon conseil, candide judex, tu m’as laissé peu à peu me livrer tout à fait à l’exercice libre et indépendant de cette force toute nouvelle parmi nous. Cela te chagrinait bien dans le fond de l’âme de me voir dépenser ainsi en pure perte ce que tu voulais bien appeler mon style et mon esprit