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torien ne doit pas s’étonner, non plus que le lecteur. Ces deux terres se rencontrent de bonne heure dans leurs haines aussi bien que, dans leurs sympathies. Les deux Bretagnes s’étaient mises à haïr d’une égale ardeur l’oppression étrangère. Sorties du même berceau, et se retrouvant, après tant de migrations, sur la même terre, les deux peuples s’aimaient, autant par la toute-puissance des souvenirs que par le sentiment du danger présent et des destinées à venir. Plus d’une fois, même au plus fort de l’invasion germanique, les soldats de l’Armorique s’en vinrent, sur les rivages de la Bretagne insulaire, pour se battre contre les Saxons, contre la race maudite, pour parler comme Gildas. La Bretagne, occupée par le Saxon, était le champ clos de ces entreprises, qui plaisaient au courage des Bretons du continent. Ils débarquaient précédés par les bardes, qui disaient le chant national ; La Bretagne a tout conquis ! En même temps que nos Bretons du continent allaient, pour ainsi dire, à la chasse du Saxon, ils rejetaient fièrement tout accord avec les Francs. Déjà l’orgueil national se montre dans toute son énergie. — Ici commence la royauté bretonne. — Les premiers rois de la Bretagne appartiennent à la légende plus encore qu’à l’histoire. Les plus savants historiens, de leur autorité privée, ont effacé plus d’un nom de cette liste des chefs bretons, et il nous faut obéir à la logique de l’histoire ; pourtant, si parmi les noms propres effacés de cette liste glorieuse, nous avions eu le droit de demander grâce pour quelqu’un, nous l’eussions demandée pour le roi Audren, que les Bretons de l’île viennent supplier pour qu’il daigne les secourir et se faire roi de Bretagne. Audren, dit la tradition, ne voulut pas de cette Bretagne, qui, plus tard, sera le rêve illustre et excellent de tous les ducs de Normandie, à commencer par Rollon Ier, jusqu’à Guillaume le Bâtard. Après le roi Audren, la légende, qui cherche de son mieux à nous expliquer ce que deviennent ces nations mal affermies sur le sol qui les nourrit avant que le donjon féodal ait remplacé la tente du soldat, nous montre un usurpateur, Eusèbe, assis sur le trône de Bretagne, au préjudice de Budic, comte de Cornouailles et fils d’Audren. Dans la vie de saint Mélaine, écrite au sixième siècle, Eusèbe nous apparaît comme un tyran souillé de sang et de vices ; mais c’est là le nom d’un Romain et non pas d’un Breton. Eusèbe mort, Badic, fils d’Audren, est rappelé par les Bretons de la petite Bretagne, qui envoient chercher leur nouveau roi dans le domaine insulaire où il s’était réfugié. Le nouveau roi de Bretagne débarqua dans le duché de Cornouailles avec toute sa famille ; il fut