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des conquérants germains, et pourtant le poëme dont nous parlons peut, à tout prendre, remplacer l’histoire. En effet, ce poëte, nommé Ermold le Noir (Ermoldus Nigellus), avait fait avec l’empereur Louis le Débonnaire la campagne de 818, dans l’Armorique et, en son chemin tout rempli d’accidents et de découvertes, il avait sans doute recueilli, tout autant que dans les monastères où il s’arrêtait, des traditions vivantes encore, pour ainsi dire, sur l’établissement des Bretons insulaires dans cette contrée.

Voici les premiers vers de cette épopée barbare ; au chapitre suivant vous aurez dans son ensemble éloquent et naïf ce curieux poëme, qui doit jeter une clarté si grande sur les ténèbres de cette histoire ; alors vous retrouverez, nous l’espérons du moins, l’historien exact et véridique sous l’enveloppe grossière du poëte gallo-franc :

« Traversant les mers sur de frêles barques, ce peuple (les Bretons), ennemi des Francs victorieux, était venu, des extrémités du monde, chercher un asile dans les Gaules. Pauvres et suppliants, ils furent jetés par les flots comme sur les rivages qu’occupaient alors les Gaulois ; comme l’huile sainte du baptême avait coulé sur leur front, on leur donna des terres et ils purent même s’étendre dans le pays. Mais à peine avaient-ils obtenu de jouir des douceurs du repos, qu’ils allument des guerres meurtrières et présentent à leurs hôtes du fer pour tout tribut, le combat pour toute reconnaissance. Les Francs étaient alors occupés dans des guerres plus importantes. Aussi la conquête de ce pays fut-elle ajournée durant un si grand nombre d’années, que les Bretons, couvrant toute la surface du pays, ne se contentèrent plus du territoire qu’on leur avait concédé lorsqu’ils étaient venus, pauvres et fugitifs, demander l’hospitalité. »

Est-il besoin de nous arrêter longtemps sur ce passage mémorable d’Ermold le Noir, cité pour la première fois par l’auteur de l’Histoire des institutions bretonnes ? Quoi de plus précis et de plus net ? Quand arrivent les émigrés bretons du cinquième siècle, ces rivages sont occupés par les Gaulois, les Francs de Clovis n’ont pas encore franchi le Rhin ; mais à peine un demi-siècle s’est-il écoulé depuis que les exilés de l’île de Bretagne se sont mêlés à leurs frères du continent, que d’autres guerriers (ceux-là sont de race germanique), se présentent aux frontières du nouveau royaume. La lutte s’engage, dès le principe, aussi terrible, aussi implacable que la lutte des Bretons de l’île contre les Saxons eux-mêmes. — De ces guerres soudaines et terribles, l’his-