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aux regards étonnés les mêmes et abrupts monuments qui n’ont pas dit à l’avenir les secrets du passé ; d’où il faut nécessairement tirer cette conclusion, qu’à une époque très-reculée, les mêmes symboles religieux existaient chez tous les peuples de la terre. Ainsi donc ces monuments, qu’on appelle encore les monuments celtiques, remontent à des temps antérieurs au druidisme ; ils appartiennent à une civilisation-disparue dans la nuit des temps ; ces pierres sont indignes d’un peuple dont la civilisation était déjà célèbre et reconnue, et qui a laissé dans l’histoire plusieurs des traces que laisse après elle toute nation intelligente : Philosophia manavit a Gallis. Qui donc, en effet, voudrait reconnaître dans les monuments inexplicables et fantastiques de Carnac, cette grande nation gauloise, célèbre par son industrie, par son agriculture, par sa sagesse dans les conseils, et dont l’histoire romaine parle avec tant de déférence et de respects ? Mais, à ce compte, le sauvage qui se fabrique une idole barbare serait cent fois supérieur à nos vieux pères les Gaulois, qui se seraient contentés de couvrir leurs bruyères de ces rochers mystérieux. Nous en sommes fâché pour les systèmes historiques des antiquaires celtiques ou phéniciens, mais quelle que soit (et nous l’avons prouvé dans les premières pages de ce livre) notre bonne volonté de ne pas donner à la tradition de trop cruels démentis, et de ne pas nous poser comme des historiens-inventeurs ; il nous est impossible de ne pas reconnaître tous les motifs sur lesquels s’appuient les sceptiques, quand ils font remonter à bien des siècles au delà du druidisme les pierres de la Bretagne celtique.

Ceci dit, revenons à notre histoire, souvent interrompue, souvent reprise ; mais qu’importe, pourvu que nous soyons rapide et clair ?

Nous avons laissé les Bretons insulaires trahis par ces mêmes Saxons qu’ils avaient appelés à leur aide. Écrasés par leurs alliés, les Bretons insulaires se sont réfugiés, les uns dans les montagnes de la Cambrie et du Cornwall, les autres au delà des mers, parmi les peuples de la Péninsule, d’où leurs ancêtres étaient primitivement sortis. Gildas, le seul historien national et contemporain qui ait parlé de ces émigrations, ne nous a laissé aucun détail ni sur la prise de possession, ni sur les conditions imposées aux nouveaux venus, par les anciens propriétaires du sol de l’Armorique ; donc l’histoire nous manque ; et dans ces questions d’un si grand intérêt, nous en sommes réduits aux inspirations partiales d’un bon moine gallo-franc du neuvième siècle. Ce Gallo-Franc est naturellement un grand admirateur