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ces prières ferventes, de ce concours des multitudes, de ce pieux pêle-mêle de tous les-âges, de tous les sexes, de toutes les fortunes, la paysanne prosternée à côté de la grande dame, et confondant leurs prières, quel triste souvenir de sang, d’épouvante, de misère, ô Seigneur ! vient troubler cette fête chrétienne ? Humble rivière d’Auray, aux flots limpides, elle a roulé des flots de sang. Vous voyez cette baie formée d’un côté par le rivage de Bretagne, de l’autre côté, par une presqu’île large d’une lieue et double en longueur, c’est la fameuse presqu’île de Quiberon. Elle tient à la terre par une langue de sable, nommée la Falaise. Après bien des efforts inutiles, les débris de l’armée royale s’étaient enfermés dans cette presqu’île de Quiberon. — Plus d’espoir, — plus de salut possible ; — il faut périr : — seul, Sombreuil se défendait encore. — Mais que faire ? que devenir ? Ici l’armée républicaine, et là l’Océan furieux ; dans le lointain, les navires anglais qui s’enfuient. — Il fallut se rendre ; — il fallut périr. — Une commission militaire, réunie à Vannes, jugea sommairement M. de Sombreuil et ses compagnons d’armes. — On les fusilla sur les bords de la rivière d’Auray. — Noble sujet de honte et de douleur. — Pudor inde et miseratio.

Un monument funèbre a été élevé à cette place criminelle, et voyez l’épouvantable épitaphe — Neuf cent cinquante-deux noms sont inscrits sur cette pierre funèbre ! — L’épitaphe dit vrai : Ceci est le monument de la France en deuil — Gallia mœrens posuit. — L’épitaphe dit vrai, l’homme juste aura une mémoire éternellein memoria æterna erit justus. — Mémoire éternelle devant dieu, car les hommes oublient si vite ! Et puis le moyen de rester attentifs même à ces souvenirs de honte et de douleur, en présence de ce frais spectacle des eaux et des campagnes. La Vilaine porte au loin son doux murmure, le pont de la Roche-Bernard domine ce panorama de rochers et de feuillage. Admirons encore une fois ces frais aspects ; asseyons-nous sur ces roches luisantes, prêtons l’oreille à ces mille bruits qui s’élèvent de la terre et du ciel dans une confusion charmante ; et sur cette noble terre et sur cette belle histoire, qui nous ont occupés si longtemps, jetons, avant de les quitter, un dernier regard d’adieu et de respect.

Pénible et ingrat travail, rude tâche et difficile labeur, accepté avec tremblement, accompli avec zèle, et qui s’achève à l’instant même où les difficultés d’une pareille histoire étant bien connues, il n’y avait que M. de Chateaubriand qui fût digne d’écrire l’histoire de sa fière patrie ! — Écoutez plutôt, et, par cet admirable exemple, appre-