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des grands hommes d’État de ce siècle, bienveillant et ferme esprit qui a su comprendre tant de nobles esprits et les récompenser tous ; M. Bertin[1] l’aîné, quand il institua cette tribune célèbre, le Journal des Débats, s’en vint chercher, dans un pensionnat de Picpus, Geoffroy le critique. Aussitôt, sous la conduite de son digne chef, Geoffroy se mit à l’œuvre ; il revint avec énergie, avec passion et courage ; aux nobles inspirations de sa jeunesse ;  : il rappela à la mémoire des hommes ingrats les génies oubliés, les chefs-d’œuvre méconnus, réveillant en sursaut les nobles instincts de cette nation. Écrivain charmant, railleur, ingénieux, il prenait tous les tons ; il cherchait, avec le plus rare courage, toutes les occasions de livrer à la raillerie et à la haine publiques cette révolution qui avait tout détruit, tout effacé. — Ce rude travail a duré quatorze ans. Pendant quatorze ans, Geoffroy a commandé l’attention de l’Europe par son esprit, presque autant que l’Empereur lui-même par ses victoires. — Il est mort le 26 février 1814, et même, au milieu de tant d’émotions cruelles, sa mort fut vin événement.

Voilà ce que la Bretagne a fait pour la critique : elle lui a donné Fréron et Geoffroy. C’est à un Breton, à Guinguené, que nous devons l’Histoire littéraire de l’Italie ; l’auteur des Héritiers, d’Édouard en Écosse ; de la Fille d’Honneur, Alexandre Duval était, lui aussi, un enfant de la ville de Rennes. — Mais qui donc voudrait les compter tous ?

Un nom reste seul, grand entre tous, un de ces génies effrayants qui échappent à l’analyse — l’homme qui s’est dit à lui-même : Je pense, donc je suis ! René Descartes, pour tout dire. — Ô idée ! disait Gassendi après avoir lu le Discours sur la Méthode, et La Fontaine :


Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
Chez les païens, et qui tient le milieu
Entre l’homme et l’esprit…


Nous arrivons ainsi à notre dernière contrée, à l’arrondissement de Ploërmel (Plou-Armel, le territoire d’Armel), qui prend son nom d’un grand personnage, Armel, à qui le roi Chilpéric avait cédé ce désert dans le territoire de Rennes. — C’est le lieu du combat des Trente, si célèbre durant tout le temps du moyen âge. Cette partie de la Bretagne est couverte de landes sans fin, de bruyères stériles. Il faut chercher autre part les riches moissons, les bandes de faucheurs,

  1. À Dieu ne plaise que nous osions transcrire ici toute la lettre que M. de Chateaubriand nous a fait l’honneur de nous écrire. Sa bonté est grande comme son génie ! — Mais voici une louange que nous acceptons et dont nous sommes fiers, parce qu’elle est méritée : — » Ainsi que moi, vous êtes resté fidèle au souvenir de mon vieil ami Bertin ! »