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flotte à Gessoriacum (Boulogne), et de cette flotte il confia le commandement à Carausius, Ménapien de basse origine. Ce Ménapien avait les instincts d’un brigand et l’intelligence d’un prince. Il était à la fois un voleur et un grand capitaine ; pour échapper au châtiment réservé à ses effroyables brigandages, il se fit indépendant de l’empereur, il s’embarqua pour la Bretagne, il embaucha les troupes qui s’y trouvaient, et enfin il se revêtit de la pourpre. Étrange époque, où pour se sauver il fallait se faire empereur.

Voilà donc Carausius devenu césar ; et ce qui est plus étrange, c’est que le règne de ce tyran fut heureux et plein de gloire. Les Calédoniens s’enfuyaient devant ses aigles ; ses flottes victorieuses couvraient le détroit, elles commandaient les bouches du Rhin et de la Seine, et portaient la terreur du nom breton jusqu’au détroit de Gibraltar. Dioclétien et son collègue se virent contraints de reconnaître le tyran. Mais dès que les deux empereurs Galérius et Constance se furent associés à l’empire, Constance reçut la mission d’arracher la Bretagne aux mains de l’usurpateur. La prise de Boulogne fut le premier exploit de Constance. Carausius fut tué, mais non pas en bataille rangée ; après sa mort, la Bretagne, qui déjà se croyait libre, retomba sous la loi des Romains.

À cette heure, le père de Constantin le Grand, prince équitable, habile et sage politique, accorde quelque trêve aux misères des peuples vaincus. La Bretagne, un instant calmée, rêve des jours meilleurs. — Hélas ! l’heure de la paix et de la liberté était encore bien loin. À défaut de la tyrannie politique, elle tomba dans la persécution religieuse. Depuis Caradoc, la Bretagne s’entretenait des vérités de l’Évangile. La loi nouvelle, la loi salutaire et sainte, soit qu’elle ait été introduite par le tyran Carausius, au dire des traditions galloises, soit qu’elle ait été enseignée par la femme du proconsul Plautius, Pomponia Gracina, si l’on en croit de plus graves témoignages, pénétrait déjà de toutes parts, avec sa puissance et sa force invincibles, dans l’âme et dans la conscience de ces peuples austères. — Dioclétien et Maximien — vanité de la toute-puissance ! — lancèrent leur édit contre le christianisme naissant. Tout d’un coup la persécution s’étendit, sanglante, acharnée, impuissante, contre la Bretagne chrétienne. Le martyre commençait pour cette contrée heureuse, et, sans le savoir, elle entrait ainsi, à la clarté de l’aurore chrétienne, dans l’affranchissement universel, dans cette délivrance tant rêvée des nations vaincues. Parmi les premiers martyrs de la croyance chrétienne, généreux