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ombre qui passe, emportée par la vague ? Elle est seule dans sa barque ; elle jette aux flots de la mer des toisons de brebis et de petites meules d’or et d’argent. « Sa taille était haute ; une tunique noire, courte et sans manches, servait à peine de voile à sa nudité. Elle portait une faucille d’or suspendue à une ceinture d’airain ; elle était couronnée d’une branche de chêne. La blancheur de ses bras et de son teint, ses yeux bleus, ses lèvres de rose, ses longs cheveux blonds qui flottaient épars, annonçaient la fille des Gaulois, et contrastaient par leur douceur avec sa démarche fière et sauvage. Elle chantait d’une voix mélodieuse des paroles terribles, et son sein découvert s’abaissait et s’élevait comme l’écume des flots.

« Je la suivis à quelque distance : elle traversa d’abord une châtaigneraie dont les arbres, vieux comme le temps ; étaient presque tous desséchés par la cime ; nous marchâmes ensuite, plus d’une heure, sur une lande de mousse et de fougère ; au bout de cette lande, nous trouvâmes un bois, et au milieu de ce bois une bruyère de plusieurs milles de tour : Jamais le sol n’y avait été défriché, et l’on y avait semé des pierres pour qu’il restât inaccessible à la faux et à la charrue. À l’extrémité de cette arène s’élevait une de ces roches isolées que les Gaulois appellent dolmen, et qui marquent le tombeau de quelque guerrier… La nuit était descendue ; la jeune fille s’arrêta non loin de la pierre, frappa trois fois des mains en prononçant ce mot mystérieux : An gui, l’an neuf ! À l’instant je vis briller dans la profondeur du bois mille lumières[1]. »

Bientôt, l’assemblée est complète ; les Gaulois arrivent la torche à la main. Les Eubages marchaient les premiers, conduisant deux taureaux destinés au sacrifice ; les bardes suivaient en chantant les louanges de Teutatès : Trois sénavis (philosophes) venaient ensuite ; la prêtresse marchait la dernière. L’autel est dressé au pied d’un jeune chêne où la prêtresse a découvert le gui sacré, que l’Eubage coupe avec la faucille d’or ; sur le dolmen monte la prêtresse[2].

Quand la foule a fait silence, la prêtresse prononce d’austères paroles : « Où sont, dit-elle, ces États florissants, ce conseil de femmes auquel se soumit le grand Annibal ? Où sont les druides qui élevaient dans leurs conseils sacrés une nombreuse jeunesse ?… Ô île de Syane, ô île vénérable et sacrée ! je suis demeurée seule des

  1. Les Martyrs, liv. IX et suivants.
  2. « Au pied du dolmen étaient appuyées deux autres pierres qui en soutenaient une troisième couchée horizontalement. »