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plus sauvages. Le héros de M. de Chateaubriand, Eudore, arrive enfin dans cette belliqueuse Bretagne dont M. de Chateaubriand se souvenait avec tant de joie et d’orgueil quand il écrivait son poëme. Suivons Eudore, il nous guidera par la main, dans les sentiers et dans les villes de !’Armorique. Il arrive chez les Rhédons (les peuples de Rennes), et laissez-le décrire tout à l’aise cette terre de la résistance et des miracles :

« L’Armorique ne m’offrit que des bruyères ; des bois, des vallées étroites et profondes, traversées de petites rivières que ne remonte point le navigateur, et qui portent à la mer des eaux inconnues ; région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards, retentissant du bruit des vents, et dont les côtes hérissés de rochers sont battus d’un océan sauvage.

« Le château où je commandais, situé à quelques milles de la mer, était une ancienne forteresse des Gaulois, agrandie par Jules César lorsqu’il porta la guerre chez les Venétes (les peuples de Vannes), et les Curiosolites (peuples des environs de Dinan). Il était bâti sur un roc, appuyé contre une forêt et baigné par un lac. »

Ceci dit, le poëte raconte l’histoire de Velléda, la prêtresse des Bretons. Que pourrions-nous ajouter, nous autres, à cette histoire ainsi racontée ? Quels détails M. de Chateaubriand, le Breton, n’a-t-il pas appris dans son enfance ? Quel récit n’a-t-il pas retrouvé dans ses souvenirs ? Dans notre premier livre, la Normandie, plus d’une fois, quand l’histoire nous manquait, nous avons appelé les poëtes à notre aide. Shakspeare et Walter Scott[1] nous ont raconté les passages les plus difficiles et les plus obscurs des vieilles annales ; M. de Chateaubriand ne fera pas moins pour l’histoire de ces peuples bretons parmi lesquels il a vu le jour, pour cette noble terre où il a choisi sa sépulture. L’épisode de Velléda, c’est toute histoire de la vieille Bretagne. — « Les habitants de l’Armorique avaient conservé leurs mœurs primitives et portaient impatiemment le joug romain. Braves, comme tous les Gaulois, jusqu’à la témérité, ils se distinguaient par une franchise de caractère qui leur est particulière, par des haines et des amours violentées, et par une opiniâtreté de sentiments que rien ne peut vaincre. » Tel est ce portrait des Bretons ; il est traité de main de maître, à la façon de Chateaubriand ou de Jules César. Bientôt paraît Velléda la prêtresse. Est-ce une femme ? est-ce une

  1. La Normandie, le Roi Jean, p. 129 ; Ivanhoé, p. 284.