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pour tout dire. Ils enseignaient toute la morale, toute la politique. Qui manquait à la loi, qui manquait de courage, était chassé, par les druides, de l’assemblée universelle. À la voix de ces prêtres vénérés, la nation prenait ou déposait les armes ; la femme du druide, le type de la femme gauloise, était, comme son mari, éloquente, inspirée, entourée de terreur et de respect. La voix des prêtresses était écoutée à l’égale de la voix de Dieu ; elles ont créé des prodiges : devant elles marchait la terreur. Au sommet des roches escarpées, sur le bord de la mer furieuse, au pied du chêne gaulois, la prêtresse se tenait debout, et, l’œil au ciel, elle prédisait l’avenir. La foudre et l’éclair et la tempête gardaient la demeure de la druidesse. La mer obéissait à sa voix, le vent à sa parole ; elle prenait toutes les formes, elle passait comme une ombre ; elle se montrait surtout quand la patrie était en danger. Rappelez-vous à ce propos cette femme poétique, cette Velléda inspirée dont M. de Chateaubriand a écrit histoire. C’est la plus vaillante héroïne, et ce n’est pas la moins touchante, du poëme des Martyrs.

Dans l’Armorique, les prêtres portaient le surnom de Belhec, parce qu’ils étaient vêtus de lin[1], et les prêtresses celui de Léanes, parce qu’elles étaient toujours habillées de laine blanche[2].

Mais à propos de la Velléda et du poëme de M. de Chateaubriand, trop heureux sommes-nous de rencontrer, au commencement de ce livre, ce grand poëte, honneur de la Bretagne moderne, pour nous guider à travers les Gaules primitives, dans cet étrange mélange. de mœurs, de religions, de civilisation, de barbarie.

C’en est fait, le vieux monde va se retremper dans la religion nouvelle ; le christianisme a commencé son œuvre éternelle, le vrai Dieu s’est montré à l’univers lassé de ces fausses grandeurs. Nous sommes sous, le règne de Dioclès ; la longue voie romaine se déroule à travers la forêt des druides. Au milieu des bois sauvages, tout à côté de la hutte du Gaulois, entre ses forteresses de solives et de pierres, les Romains ont élevé les plus beaux monuments de l’architecture grecque et latine. Pourtant, la forêt domine encore tout cet ensemble ; de temps à autre ; vous rencontrez les vestiges du camp de César, vous retrouvez les plantes semées par les vainqueurs ; quelques restes de cette civilisation armée se rencontrent même dans les endroits les

  1. Belh, en langue gallique, signifie lin. — En Bretagne on désigne encore sous le nom de belhec un prêtre.
  2. Gloan, et par contraction léans, signifie laine en langue gallique.